1 Bibi Fatima et les fils du roi
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3 Dr Sultan bin Muhammad Al-Qasimi Bibi Fatima et les fils du roi Traduit de l’anglais par Dr. Cécile Fouache Révisé par Dr. Khaled Besbes Publications Al-Qasimi, 2019
4 Titre du livre : Bibi Fatima et les fils du roi Publié pour la première fois sous le titre bybifatima wa abnā al-malik 2018 Nom de l’auteur : Dr Sultan binMuhammad Al-Qasimi Nom de l’éditeur : Al-Qasimi Publications, Sharjah, Émirats Arabes Unis Année de publication : 2019 Droits d’auteur réservés Publications Al-Qasimi P.O. Box 43344 Sharjah, Émirats Arabes Unis Email : alqasimi.publs@gmail.com ------------------------------------------------------- Distribution : Al-Qasimi Publications, Sharjah, étage ème Qasba Bloc D 3 Al- B.P. 64009 Sharjah, Émirats Arabes Unis Téléphone : 0097165541145 Fax : 0097165541664 Email : alqasimi.dist@gmail.com ------------------------------------------------- -- ISBN 978-9948-38-987-3 Autorisation d’impression : Conseil national des médias Abou Dhabi No. MC 03-01-8665380, Date : 25-02-2019 Imprimerie : Digital World Printing Press, Sharjah, Émirats Arabes Unis Groupe d’âge: E --------------------------------- ----------------- Panneau de couverture : Bibi Fatima en Malaisie "Bajoo", sur le balcon du palais du roi, sur l'île d'Ormuz, de l'artiste espagnol Carlos Marines
5 Table des matières Avant-propos 6 Chapitre Un Ormuz 7 Chapitre Deux Le roi Ferug Shah 17 Chapitre Trois Le prince Feroz Shah 27 Chapitre Quatre Bibi Fatima 39 Chapitre Cinq Le prince Turan Shah 53 Chapitre Six Le prince Muhammad Shah 67 Liste des personages 85 Sources 90
6 Avant-propos Ceci est l’histoire d’une femme ambitieuse, qui s’accroche au régime chancelant des rois d’Ormuz sous l’occupation portugaise. Ce roman offre une description détaillée de la vie sociale à Ormuz, tout en abordant la situation militaire, politique et économique de l’époque. L’auteur
7 Chapitre Un Ormuz
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9 À l’entrée du Golfe arabique, se situe une zone large de 70 km entre la péninsule arabique et la Perse. On y trouve également quelques petites îles. L’île principale, et de loin la plus grande de toutes, est l’île d’Ormuz, connue autrefois sous le nom de Gerun. Ormuz se situe à 27° de latitude nord, à quinze kilomètres de la côte perse, cinquante kilomètres de la côte arabe et elle fait un peu plus de quinze kilomètres de rayon. C’est une terre extrêmement stérile, où rien de vert ne pousse jamais, ou presque jamais. Les seules choses d’un intérêt quelconque sont les mines de soufre et de sel gemme. Elle dispose également de trois sources pérennes, mais il n’existe aucune autre source d’eau potable. En dépit de ces conditions extrêmes, toutes sortes de provisions sont disponibles en abondance : du gibier, des fruits frais et des fruits secs que l’on trouve partout dans le monde, ainsi que des fruits tout à fait différents de ceux que l’on trouve en Europe. Ils viennent tous de Perse en grande quantité. La ville d’Ormuz est située sur l’île et bénéficie de deux excellents ports tout proches : le port est et le port ouest, l’un commercial, l’autre militaire. De l’autre côté de la ville, la forteresse se dresse face à la mer et dispose de deux entrées, l’une s’ouvre sur la ville et l’autre sur la mer, si bien qu’il était possible d’entrer et de sortir de la forteresse depuis la terre aussi bien que depuis la mer. Outre le port militaire, il existe aussi une grosse usine de poudre à canon où l’armée portugaise s’approvisionnait pour tout l’Océan Indien.
10 La ville d’Ormuz était le centre commercial et le port maritime le plus connu au monde. C’était un point de rencontre pour le commerce, qui dépassait tous les marchés de l’Orient et de l’Occident réunis. C’était également un grand port pour l’expédition de toutes sortes de chevaux depuis la Perse et l’Arabie jusqu’en Inde. La ville fournissait aux rois portugais et aux rois musulmans d’Inde tout ce dont ils avaient besoin. Par conséquent, l’importance de la forteresse d’Ormuz pour les rois portugais qui la possédaient ne peut pas être sous-estimée. S’ils la perdaient, cela causerait le plus grand préjudice qui soit pour les Portugais. Dans la ville, vivaient environ 200 couples de Portugais, de nombreux habitants et résidents du coin, soit environ 7000 personnes. Ce à quoi s’ajoutaient les marchands portugais qui allaient et venaient ainsi que les soldats portugais stationnés là-bas. Quant à la population musulmane et indienne, elle s’élevait à environ 40000 personnes, sans parler des Perses, des Turcs, des Mongols et des divers autres commerçants qui apportaient leur marchandise puis s’en allaient. Le roi du Portugal possédait la maison des douanes à Ormuz. Elle avait été offerte aux rois du Portugal conformément aux deux décrets émis par les rois d’Ormuz. Auparavant, la maison des douanes était louée. Cependant, après les défaites répétées des rois d’Ormuz infligées par les Portugais, en particulier depuis la répression de leur révolte par Afonso de Albuquerque (Alphonse d’Albuquerque) en 1514, les Portugais la reprirent. Outre le fait qu’ils étaient sujets des rois du Portugal et qu’il y avait une forteresse portugaise sur
11 l’île, les rois d’Ormuz n’étaient pas autorisés à posséder des armes. En conséquence, ils ne pouvaient pas laisser la mer ouverte aux marchands qui apportaient leur marchandise et payaient des droits de douane dessus. La principale raison justifiant la collecte de droits de douane, peut-être, était le fait que la mer devait rester ouverte aux activités commerciales et qu’une flotte puissante était nécessaire pour contrôler la piraterie sur terre et sur mer. Après la prise d’Ormuz par les rois du Portugal, les revenus douaniers leur revinrent « de droit », puisqu’ils étaient obligés de protéger la mer et de la laisser ouverte pour les affaires. Une telle charge ne reposait donc plus sur les épaules des rois d’Ormuz qui s’étaient révoltés contre les Portugais, mais ils furent alors contraints militairement de prêter allégeance et d’obéir au Portugal une nouvelle fois. Le port d’Ormuz était le plus grand de tout l’Orient. On y voyait tout le temps des Vénitiens, des Grecs, des Arméniens et des Juifs. La plupart des jours de la semaine étaient des jours fériés pour l’un ou l’autre des groupes de résidents : le dimanche pour les chrétiens, le mardi pour les hindous païens, le vendredi pour les musulmans et pour les juifs, leur sabbat est le samedi. La population d’Ormuz comprenait des gens de toutes nations. S’il vous arrivait de rendre visite à un ami, vous verriez qu’il habite dans une maison où résident des chrétiens, des juifs et des païens, qui vivent tous religieusement indépendamment les uns des autres. En dépit de leurs différences religieuses, ils
12 entretenaient de bonnes relations de voisinage et se rendraient mutuellement visite sans aucune restriction. Sur l’île il y avait des églises chrétiennes, des mosquées musulmanes, notamment la Grande Mosquée et son haut minaret, des synagogues juives ainsi que des pagodes païennes. À l’ouest d’Ormuz se trouvait la terre de Perse et à l’est, l’Arabie. Ces deux terres fournissaient à Ormuz tout ce dont elle avait besoin : du blé, de l’eau, du bois et de nombreuses variétés de fruits, le tout en quantités abondantes. Plus de 400 bateaux, présents dans le port en tout temps, fournissaient des moyens de transport sûrs. Ces bateaux portaient différents noms selon leur taille, leur type, leur lieu de fabrication, etc. Dans la forteresse d’Ormuz il y avait 70 grosses pièces de canon, toutes en bronze. La forteresse était entourée de douves, ce qui la rendait difficile à prendre aisément. Elle était gardée en permanence par plus de 500 soldats. Dans le port, il y avait toujours des bateaux qui venaient de toute l’Inde et qui apportaient toutes sortes de produits, dont des médicaments et des textiles. De là ils étaient envoyés en Perse, en Arabie, en Turquie et même en Europe. On y trouvait de tout en abondance : viande, poisson, pain, aliments en conserve tels que les confitures, les fruits secs, etc. Ils étaient envoyés en Inde en grandes quantités. Le commerce d’Ormuz était de loin le plus important et le plus vaste de toute l’Inde. Un grand nombre de chevaux était envoyé tous les ans en Inde
13 depuis la Perse et l’Arabie. Il s’agissait de magnifiques pur-sang arabes, traités par les musulmans avec un soin tout particulier, et qui étaient utilisés par les musulmans, les hindous et les chrétiens dans l’ensemble de l’Inde. Ils venaient principalement de Mascate et de Bahreïn. Les chevaux arabes étaient réputés pour leur agilité et pour la grande pureté de leur origine. De la soie en grandes quantités venait de Perse, accompagnée de toutes sortes de tapis, de plantes médicinales, de diverses marchandises et sommes d’argent. En retour, les Perses recevaient les différents types de textiles, de la porcelaine, du fer blanc, du sucre, de la teinture d’indigo et des médicaments. De Bassora venait de l’argent sous la forme de pièces d’argent et d’alliage, de textile en poil de chameau, toute autre sorte de matériau tissé, du safran, du papier et du tissu. De plus, par Bassora les Vénitiens apportaient de la verrerie, des petits bijoux et de nombreux autres produits dont le roi pouvait percevoir des droits de douane. Ormuz exportait également vers Bassora, la Syrie, la Mésopotamie, la Turquie et la Mésopotamie de nombreux types de produits tels que l’ail, les sceptres royaux, la cannelle, la cardamome, les textiles, la porcelaine et l’indigo, tous expédiés en grande quantité. Ainsi Ormuz devint le lieu de passage obligé de toutes les marchandises destinées à l’Inde et au monde entier. Même le poivre noir,* qui fut interdit à de * Le Le poivre noir était utilisé en Europe pour conserver la viande. commerce du poivre était autrefois monopole portugais
14 nombreuses reprises, passait par le détroit d’Ormuz en grande quantité pour être vendu sur les marchés d’Arabie. C’était également le cas pour de nombreux autres produits qui était exportés dans diverses parties du monde. En dépit du fait que l’île d’Ormuz était aride et sauvage, elle disposait en abondance de toutes sortes de biens et produits, si bien qu’elle devint connue comme le Centre du Monde. Ses habitants ainsi que les Perses voisins disaient : « Si le monde était un anneau, Ormuz en serait le joyau ». Outre les diverses activités commerciales dont Ormuz jouissait, l’île était également un immense entrepôt de drogues médicinales, de produits cosmétiques naturels, etc. Les meilleurs herbes médicinales au monde venaient de Perse, en plus de nombreuses sortes de parfums et des meilleures antidotes du monde, qui valaient trois fois plus que ce qui venait de Malaga. Les monnaies utilisées dans tous les territoires sous l’autorité du royaume d’Ormuz étaient : 1. le lari, une pièce d’argent du royaume de Lar qui ressemblait à des fils de fer entrecroisés et qui portait le sceau du royaume de Lar ; 2. le reis, la plus petite pièce de cuivre portugaise ; 3. le cruzado, une pièce d’or portugaise qui valait 400 reis ; 4. le pardo, une pièce d’or d’Inde Orientale. Quiconque visite Ormuz ne peut qu’être émerveillé par l’île et par ses habitants, où le sel vient de la
15 montagne, le bois vient de la mer, et les briques flottent sur la mer. Cela vient du fait que les montagnes d’Ormuz regorgent de sel, tandis que le bois provient des arbres de la mangrove qui poussent sur des fonds marins bas d’eau saumâtre. Quant aux briques, des blocs de construction, elles sont apportées de l’île de Qeshm où le corail est remonté du fond de la mer et devient spongieux lorsqu’il sèche, si bien qu’il flotte sur l’eau.
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17 Chapitre Deux Le roi Ferug Shah
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19 Nous sommes au début de l’an 1588, et la ville d’Ormuz est magnifique avec ses bâtisses étagées, ses ruelles étroites où fourmillent les résidents de toutes races comme en témoignent leurs costumes nationaux. Il fait froid en comparaison avec la chaleur absolument insupportable de l’été qui dure de mai à septembre. La femme musulmane plus que d’autres souffre de ces conditions climatiques puisque qu’elle recouvre son visage d’un niqab, voile qui recouvre sa tête et qui descend pour cacher son cou et sa poitrine. Nous nous dirigeons maintenant vers le palais du roi. Non loin, nous voyons les écoles, les maîtres qui enseignent la religion et les élèves. En face du palais, se trouve la maison du wazir (le vizir). Devant le palais, il y a des gardes avec des fusils qui ne sont pas nombreux car seuls les Portugais ont le droit de posséder des fusils. Nous entrons dans le palais par la grande porte délicatement sculptée pour accéder à la grande cour où se trouve le majlis du roi. Là, nous voyons le roi assis sur son grand trône. À sa droite et à sa gauche il y a des sièges pour les dignitaires locaux et pour les administrateurs portugais et ormuziens. Le roi s’appelle Ferug Shah bin Muhammad Shah (connu sous le nom d’Abunasser Shah) bin Turan Shah bin Salgor Shah. Salgor Shah avait mauvaise réputation auprès de la population locale car il avait capitulé face aux exigences des Portugais et avait démoli toutes les maisons de ses partisans et proches sympathisants près de la forteresse portugaise ainsi que nombre de ses luxueux palais alentour afin que la forteresse ne soit gênée de quelconque façon par la proximité de ces bâtiments. Turan Shah succéda brièvement à son père
20 Salgor Shah. Lorsqu’il mourut en 1536, des litiges sur le droit de succession apparurent. Turan Shah avait deux fils, l’aîné Muhammad Shah (Abunasser Shah) et Cheikh Jawid. Muhammad Shah régna sur Ormuz pendant un an puis mourut. Son frère, Cheikh Jawid, était censé lui succéder. Cependant, Ferug Shah, le fils de Muhammad Shah, réussit à prendre le pouvoir et bannit son oncle Cheikh Jawid, qui en retour porta la question aux autorités portugaises en affirmant que le pouvoir lui revenait et en demandant à recevoir l’héritage que lui avait laissé son père. Furieux, Ferug menaça de le tuer et refusa de lui donner l’héritage, prétendant que les sommes d’argent que réclamait Cheikh Jawid n’appartenaient pas à son père mais à l’état. En conséquence, Cheikh Jawid termina sa vie dans la misère et le dénuement à Goa où résidait le vice-roi portugais. À la fin du mois de novembre 1587, Cheikh Jawid mourut et son fils transmit les revendications de son père contre le roi d’Ormuz à la cour d’appel à Goa. Ferug Shah était assis dans son majlis, soucieux de la décision que prendrait la cour. À sa droite était assis son vizir Raïs Nuruddin et près de lui son frère et conseiller, Sharafuddin, qui avait l’habitude de le remplacer lorsqu’il était absent. Nuruddin avait donné sa sœur Latifa en mariage à Ferug Shah, avec pour condition d’approbation à ce mariage que si Latifa lui donnait un fils, celui-ci deviendrait l’héritier du trône d’Ormuz. Ferug Shah donna deux fils à la reine Latifa, l’aîné était le prince Muhammad Shah bin Abunasser Shah, et le second le prince Turan Shah. Cependant, Ferug Shah
21 avait d’une concubine un autre fils nommé Feroz. Le statut de Feroz était un sujet de conflit car un jour Ferug Shah le reconnaissait, mais le jour d’après il ne le reconnaissait pas. Quant à Raïs Nuruddin, il était marié à Shah Zinan, la veuve de Raïs Murad Daylamitia (des Daylamites), le juge de Bahreïn. Il descendait de la lignée des rois de Lar. De son précédent mariage, Shah Zinan avait une fille, Halima, qui avait quinze ans à l’époque, et un fils posthume, Murad bin Murad, âgé de quatorze ans et surnommé Daylamitia. De Raïs Nuruddin Shah Zinan avait une belle petite fille qui avait à ce moment-là quatre ans. Elle s’appelait Fatima mais ses parents l’appelaient Habiba Nuruddin ; d’autres l’appelaient Habiba Fatima tandis que les étrangers l’appelaient Bibi Fatima, et c’est ce dernier nom qui lui resta. À la gauche du roi Ferug Shah se tenait le commandant et véritable chef d’Ormuz, Matias de Albuquerque. Il avait l’habitude de bavarder avec les jeunes gens pour tenter de les convaincre d’abandonner leur religion pour devenir chrétiens. Il les invitait toujours chez lui et leur offrait de la nourriture. Son travail quotidien consistait non pas à régler les affaires de l’île mais plutôt à convertir les musulmans au christianisme. Il parvint à ses fins avec le fils de Cheikh Jawid qui, à Goa, se convertit après la mort de son père en 1587 et prit le nom de Dom Jerónimo Joede. Ici à Ormuz Matias de Albuquerque essayait de convertir au christianisme Halima, âgée de quinze ans, et son jeune frère Murad Daylamitia. Il promit même au jeune homme, Murad, que s’il se convertissait il le ferait vizir
22 d’Ormuz et qu’il serait responsable des comptes, le findag. Halima et Murad montrèrent de l’intérêt pour ce que leur offrait Matias de Albuquerque et commencèrent à recevoir des leçons de foi chrétienne. Quelques jours auparavant, Matias de Albuquerque avait parlé à Raïs Nuruddin, le vizir d’Ormuz, et lui avait demandé la main de Halima pour le fils chrétien de Cheikh Jawid. À l’époque, personne n’était au courant de sa conversion. Raïs Nuruddin, cependant, refusa poliment au motif que cela provoquerait l’ire du roi d’Ormuz. Dans le majlis du roi Ferug entra un jeune homme du nom de Niamatullah, mal habillé, la barbe épaisse et la mine patibulaire. Il s’agissait du neveu du roi, ennemi féroce de Matias de Albuquerque. Il possédait une école coranique et dirigeait un mouvement national opposé aux activités missionnaires de Matias de Albuquerque. Il s’approcha du roi, lui baisa la main puis prit le siège à côté de celui de Raïs Nuruddin. Il respirait bruyamment comme si son cœur allait sortir de sa poitrine. Il avait quelque chose à dire et était impatient de le faire. Juste avant d’entrer dans le majlis du roi, il était tombé sur Halima alors qu’elle sortait de la maison de Raïs Nuruddin, à la poursuite de sa petite sœur, Fatima. Halima avait relevé son niqab, révélant son beau visage. Alors qu’ils manquèrent tout juste de se heurter, Halima avait reculé d’un pas tout en regardant Niamatullah, attendant qu’il s’écarte pour qu’elle puisse attraper sa sœur. Mais Niamatullah n’avait pas bougé et Halima avait fini par lui claquer la porte au nez.
23 Dans le majlis du roi, Niamatullah parla à voix basse à Nuruddin. Le roi interrogea ensuite Nuruddin sur ces messes basses. — « Votre Majesté, votre neveu, le prince NIamatullah, me demande la main de ma fille en mariage, » répondit Nuruddin. — « Ainsi soit-il, avec la bénédiction d’Allah, » dit le roi. Sur ces mots, Matias de Albuquerque se leva, furieux et répéta « cela n’est pas possible, cela n’est pas possible », puis il se précipita en dehors de la cour. Le roi Ferug Shah, son vizir et tout le monde dans le majlis furent fort marris de l’inconvenance d’une telle conduite. En conséquence, le roi décida que le mariage aurait lieu sur-le-champ. On fit venir l’imam de la grande mosquée et le mariage fut célébré. Agissant au nom de Halima, Raïs Nuruddin la maria à Niamatullah. Halima se trouva donc mariée de force par le roi, par son beau-père Nuruddin le vizir et par sa famille. Elle accepta leur volonté mais dans son mariage avec Niamatullah, elle ne lui rendit jamais la vie facile et le mariage ne fut jamais consommé. Un jour, Halima dit à Niamatullah qu’elle souhaitait rendre visite à sa mère. Elle dit à sa mère qu’elle ne voulait plus vivre avec Niamatullah ni jamais le revoir. En conséquence, elle resta chez sa mère, ni mariée ni divorcée. Ensuite, elle prit contact avec le fils d’un Portugais. Il était né à Ormuz et il lui apprit à lire et à écrire en portugais. Elle lui dit qu’elle ne supportait plus de voir Niamatullah ni de vivre avec lui. Elle lui demanda d’informer les moines chrétiens de son malheur et du fait qu’elle voulait se convertir au
24 christianisme pour se libérer des liens de son mariage avec Niamatullah. L’homme accepta de l’aider et prit contact avec les gens responsables du monastère d’Ormuz. La nouvelle fut rapportée à Matias de Albuquerque qui n’en crut pas ses oreilles et se précipita immédiatement au palais royal pour parler au roi d’Ormuz. Il informa le roi de la situation de Halima et lui dit également que le roi du Portugal, qui n’acceptait qu’aucune injustice ne soit commise sous son autorité, avait aussi été informé de ce qui s’était passé. — « Si vous n’êtes pas capable de diriger Ormuz avec justice, il y a là quelqu’un qui peut le faire. Le cas du fils du Cheikh Jawid n’est toujours pas réglé, » dit Matias de Albuquerque sur un ton menaçant. À ces mots, le roi Ferug Shah approuva le divorce entre Halima et Niamatullah. Les moines décidèrent ensuite que Halima et son frère Daylamitia devraient quitter Ormuz pour Goa. Étant donné la complexité de la situation, ils devaient attendre que Matias de Albuquerque quitte son poste de commandant d’Ormuz pour retourner à Goa. Des dispositions furent prises pour que Halima quitte la maison de Raïs Nuruddin la nuit pour rejoindre la maison d’un riche Portugais. Cela faciliterait ensuite son départ pour le navire militaire qui s’apprêtait à partir avec Matias de Albuquerque à son bord. Malgré l’extrême difficulté de l’opération, celle-ci fut un succès et Halima, ainsi que son frère, accompagna Matias de Albuquerque à bord du navire royal Nossa Senhora da Conceição.
25 À Goa, Daylamitia se convertit au christianisme grâce aux œuvres de Matias de Albuquerque. Il prit également le nom d’Afonso, en mémoire d’Afonso de Albuquerque, qui avait conquis Ormuz avec succès. Quant à Halima, elle prit le nom de Filipe, d’après Filipe, le roi du Portugal. Elle épousa ensuite Antonio de Azevedo à qui fut donnée la forteresse d’Ormuz à diriger, selon le décret du roi du Portugal. En revenant à Ormuz en bateau avec son époux et son frère, Halima mourut, son corps fut jeté à la mer et alla nourrir les poissons. Afonso Daylamitia retourna à Ormuz et attendit d’être en âge pour être nommé vizir et responsable des comptes de la douane comme cela lui avait été promis.
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27 Chapitre Trois Le prince Feroz Shah
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29 En 1591, trois ans après le regrettable épisode entre Halima, Murad et Niamatullah, Latifa, l’épouse du roi Ferug Shah et sœur du vizir Nuruddin, mourut. Peu de temps après, Nuruddin lui-même mourut. Cela signifiait que le poste de vizir d’Ormuz était désormais vacant. Ce poste avait été promis à Afonso Daylamitia bin Murad, qui était maintenant un chrétien converti. Cependant, le roi d’Ormuz avait posé une condition à l’approbation d’une telle nomination : il voulait épouser Zinan Shah (connue sous le nom de Sayyidatu-Nisa). Cette dernière accepta la proposition avant même que son fils ait eu son mot à dire sur le sujet. Après avoir épousé le roi Ferug Shah, SayyidatuNisa prit avec elle Fatima, sa fille âgée de sept ans, et son fils Afonso Daylamitia, le nouveau vizir, et alla vivre dans le palais du roi avec les fils du roi, Muhammad Shah, qui était alors âgé de quatorze ans et son frère Turan Shah âgé de treize ans. Au palais ils disposaient de leurs quartiers privés. Sayyidatu-Nisa était au sommet de sa gloire. Elle était assise sur son trône particulier avec sa fille Fatima à ses côtés. Elle avait maintenant son propre majlis, portait une couronne et les habits les plus raffinés et les plus riches. Elle recevait les dames de la haute société d’Ormuz ainsi que les visiteurs de l’île. Elle couvrait toutes ces dépenses exorbitantes avec les revenus de la maison des douanes que son fils percevait. Elle prétendait que sa richesse lui venait de l’héritage de ses deux premiers maris, Nuruddin et Murad. Elle offrait des cadeaux à tous ses visiteurs, si bien que son majlis était toujours bien fréquenté. Lorsqu’elle était assise sur son trône, elle l’occupait avec son corps et ses robes
30 flamboyantes. Et elle était éblouissante à regarder. Tous ses invités ne pouvaient pas la quitter des yeux tant qu’ils étaient là. Bien qu’elle fût âgée de trente-trois ans, elle avait l’air d’une jeune femme. Après la mort de Nuruddin, de nombreux hommes s’étaient pressés pour la demander en mariage. Fatima grandit au palais et on l’appelait Bibi Fatima. Elle était élevée avec son cousin Muhammad Shah, qui devint son compagnon de jeu. Elle jouait à porter la couronne de sa mère et lui la couronne de son père, et ils faisaient semblant d’être le roi et la reine. Ils étaient amoureux l’un de l’autre et ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils se marient. Au début de l’année 1598, il devint évident que le roi Ferug Shah se faisait trop vieux. Il était même incapable de tenir son majlis. Le vizir Afonso Daylamitia prenait grand soin de lui puisqu’il vivait au palais avec sa mère, l’épouse du roi. Comprenant qu’il devenait trop vieux, le roi Ferug Shah décida de céder sa couronne de roi d’Ormuz à son fils, Muhammad Shah, fils de Latifa, la sœur du défunt vizir Nuruddin. Afin de faciliter la transition, le roi Ferug écrivit une lettre en date du 14 avril 1598 au vice-roi de l’Inde, Dom Francisco da Gama dans laquelle il disait : Je suis reconnaissant à votre Excellence qu’elle se souvienne de mon fils le prince Muhammad Shah. Je suis convaincu que c’est un homme qui fera tout ce qu’il faut pour être un bon vassal. J’ai foi totale en lui et implore votre Excellence d’approuver sa nomination à ma place selon les vœux de mon
31 peuple. Les résidents portugais de la ville l’aiment beaucoup également. Il possède toutes les qualités nécessaires pour occuper ce poste. Quant à moi, je suis trop vieux et trop faible, j’aspire à passer le reste de mes jours en paix, libre de me consacrer au culte d’Allah. En conséquence, je sollicite de votre Excellence l’approbation à ma requête. Qu’Allah vous garde et vous donne longue vie. Date : 14 avril 1598, à Ormuz Le 16 avril 1598, cependant, Feroz Shah écrivit lui aussi une lettre au vice-roi de l’Inde. Il y disait : Que votre Excellence me permette de l’informer des affaires de l’État ici. Votre émissaire a vu de lui-même ce qui se passe ici. Peut-être qu’il en aurait une vision plus éclairée, voire meilleure que celle que je pourrais écrire. Je ne doute pas de la justice de Votre Excellence et de la confiance que vous m’accorderez, comme si vous étiez mon père. J’implore Allah d’accorder longue vie à Votre Excellence pour que l’État prospère et que Votre Excellence connaisse de nombreuses victoires. Allah est le Seul Capable de le faire… etc. Ormuz, le 16 avril 1598 Votre prince d’Ormuz Feroz Shah Le fait de signer la lettre « prince d’Ormuz » était clairement un acte de défiance vis à vis de la volonté de son père.
32 Une troisième lettre fut également envoyée au viceroi de l’Inde à la fin du mois d’avril 1598 par Turan Shah. Elle arriva après la décision de Muhammad Shah de renoncer à succéder à son père. La lettre disait : Ormuz, … avril 1598 De : Prince Turan Shah À : Dom Francisco da Gama, vice-roi de l’Inde Excellence, J’ai appris par la lettre que Votre Excellence a envoyée à mon père que vous êtes en bonne santé. Qu’Allah vous garde toujours ainsi pour la prospérité de l’État et j’en serai très heureux. Je sais par votre lettre que vous aviez donné conseil à mon père, puisqu’il a besoin de repos et n’est pas en état de mener les affaires de l’État, qui pèsent actuellement trop lourd sur ses épaules. Mais, à votre service, les choses deviendront plus faciles et tout s’arrangera mieux. Comme l’opportunité s’est présentée à moi, j’aimerais rappeler à Votre Excellence qu’elle veuille bien m’autoriser à lui parler un peu de moi : Je suis le fils légitime du roi Ferug Shah et de Latifa, reine de ce royaume. Je suis son plus jeune fils. Avant que mon père épouse Latifa, la sœur de Raïs Nuruddin, il s’était entendu avec Nuruddin, comme en attestent des documents officiels, pour qu’en cas de naissance d’un fils, ce dernier devrait hériter du trône de ce royaume.
33 Muhammad Shah bin Abunasser et moi-même sommes tous deux des fils légitimes, nés dans le cadre d’un mariage conformes à vos lois. De plus, dans sa grande bienveillance mon père m’a conféré cet honneur par un décret afférent à mon poste dans l’État. Tout ce que je demande est la grâce et l’aide de Votre Excellence par son soutien dans la confirmation de mon poste, comme il n’est que justice. Je ne doute pas que Votre Excellence fera cela pour moi. J’ai l’intention d’envoyer quelqu’un auprès de Votre Excellence à la saison des moussons, quelqu’un qui pourra formuler cette requête en personne auprès de Votre Excellence. Il portera avec lui les documents susmentionnés de façon à ce que vous les approuviez, puisque mon père est déjà trop vieux et qu’on ne peut lui confier aucune tâche. Tout est entre les mains d’Allah, et je me trouve dernièrement en délicatesse avec mes frères. C’est pourquoi je me suis permis d’écrire ces lignes à Votre Excellence pour demander que vous m’envoyez votre approbation, et je resterai toujours à votre service et le ferai comme un devoir. Excellence, etc (…) avril 1598 Prince Turan Shah Dom Antonio de Lima fut nommé commandant de l’île d’Ormuz.
34 Lorsqu’il arriva à Ormuz, il découvrit que la principale raison de l’instabilité de la situation était le conflit entre Feroz Shah et Turan Shah à propos de la succession au trône, tous deux étant fils du roi Ferug Shah. Leur conflit eut des conséquences graves sur Ormuz même. Dom Antonio de Lima ne tint pas longtemps à Ormuz. Il mourut le 28 décembre 1598 de maladie, diton. Il fut remplacé par Dom Luis da Gama, qui fut nommé commandant militaire de la forteresse d’Ormuz par son frère, Dom Francisco da Gama, vice-roi de l’Inde. Au début de l’an 1599, le vice-roi de l’Inde envoya un message au commandant militaire d’Ormuz puisque le commandant de la forteresse n’était pas encore arrivé. Il l’informait que si le problème de la succession du roi d’Ormuz était soulevé, il devrait confier la direction de l’État au fils aîné du roi Ferug Shah. Il indiquait également clairement que cela devrait continuer jusqu’à ce que le vice-roi de l’Inde ait statué en bonne et due forme sur cette affaire. Le vice-roi de l’Inde écrivit également un autre message à Afonso Daylamitia, vizir d’Ormuz, lui ordonnant de donner sa sœur, Fatima, en mariage au prochain roi, Feroz Shah, et de désamorcer la situation si sa sœur et sa mère réagissaient négativement. Afonso Daylamitia sortit précipitamment de la maison des douanes pour se rendre au palais du roi, les deux lettres à la main. En arrivant au palais, il se dirigea vers sa mère, qui recevait ses invitées dans son majlis. Il la fit venir à la porte qui menait à ses quartiers et lui
35 lut à voix basse la lettre envoyée au roi concernant la transmission du trône à Feroz Shah. Choquée, Sayyidatu-Nisa s’écria : « Quelle catastrophe ! Quelle catastrophe ! » Toutes ses invitées accoururent à la porte lorsqu’elles entendirent ses cris. Afonso Daylamitia lui lut alors à voix basse l’autre message tandis que les femmes écoutaient à la porte. Complètement sous le choc maintenant, SayyidatuNisa se mit à vociférer : « Cet esclave va épouser ma fille ?! Un vil esclave au palais devrait être le mari de ma fille, la petite-fille de Khosrau ? C’était mon glorieux grand-père ! Comment est-ce possible ? Son père est Nuruddin, petit-fils d’Al-Hassan, fils de l’imam Ali et de Fatima, fille de Mohammed, le Messager d’Allah ! J’ai nommé ma fille en son honneur ! Comment la petite-fille de Mohammed, le Messager d’Allah, pourrait-elle épouser un esclave ? Ça n’arrivera pas ! Jamais de la vie ! » Ils allèrent ensuite rapidement voir le roi Ferug Shah pour l’informer de ces lettres. Pendant ce temps, les femmes du majlis qui avaient entendu tout ce qui s’était dit sortirent précipitamment du palais, et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, les rues d’Ormuz se remplirent de femmes voilées qui couraient d’une maison à l’autre tandis que les portes s’ouvraient et se fermaient. La nouvelle se répandit comme une trainée de poudre. Toute la ville savait ce qui se passait. Dans le palais lui-même, le conflit entre les frères devint si violent qu’ils en vinrent aux mains. À la suite de cela,
36 le prince Turan Shah se rendit à Goa pour protester auprès du vice-roi de l’Inde tandis que Muhammad Shah rendit visite à son oncle, Raïs Badruddin, le juge en chef du Maghestan*. La nouvelle arriva à Goa et le vice-roi de l’Inde apprit que la situation à Ormuz s’était considérablement dégradée. Toutes les forteresses dépendant du roi d’Ormuz devenaient vulnérables face aux attaques des Arabes de la péninsule arabique et aux Perses des territoires voisins. Cette situation était susceptible d’avoir des conséquences dramatiques pour l’Inde, qui était sous la férule du roi du Portugal. Le commandant militaire d’Ormuz rapporta la nouvelle au vice-roi de l’Inde, qui à son tour en fit part au conseil des commandants en chef. Ils étudièrent la situation et parvinrent aux conclusions suivantes : Le commandant militaire d’Ormuz doit contraindre le roi d’Ormuz à pourvoir aux besoins des forteresses et leur fournir toutes les provisions alimentaires nécessaires. Le roi doit faire l’objet d’une surveillance constante et rapprochée. Ses propriétés et possessions doivent être saisis pour veiller à ce que les forteresses reçoivent l’approvisionnement dont elles ont besoin. En outre, toutes les affaires courantes doivent se poursuivre comme d’habitude. Mais on ne doit pas lui retirer son * NdT : Ce pays est aujourd’hui connu sous le nom de Makran, une région située en Inde et au Pakistan en bordure du Golfe d’Oman et de l’Océan Indien.
37 royaume puisque rien ne justifie une telle mesure. Le vice-roi de l’Inde doit écrire au roi d’Ormuz pour le convaincre de laisser son fils aîné gouverner après lui. Le roi doit aussi essayer de marier son fils à la fille du vizir puisque cela pourrait contribuer à désamorcer la situation et à régler les choses d’une façon plus satisfaisante. Que ce mariage ait lieu ou non, le roi d’Ormuz doit laisser son fils gouverner le pays pour lui puisque son fils dispose des capacités et des aptitudes nécessaires. Le commandant militaire doit confier la direction du pays au fils et le père (le roi d’Ormuz) doit annoncer qu’il abdique. Copie au commandement militaire d’Ormuz pour application Copie au roi d ‘Ormuz Copie au vizir Afonso Daylamitia En conséquence, Feroz Shah prit les rênes après que son père, Ferug Shah, annonça qu’il allait abdiquer en faveur de son fils aîné, qui continuerait à être son adjoint jusqu’à la mort du roi. Feroz Shah s’empara de tous les pouvoirs dans le pays, à l’exception de la maison des douanes et de ses revenus.
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39 Chapitre Quatre Bibi Fatima
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41 Au début de l’an 1601, l’ensemble du gouvernement d’Ormuz était aux mains de Feroz Shah. La seule chose qu’il ne contrôlait pas était son mariage avec Bibi Fatima, qui devint une lutte acharnée entre lui et Sayyidatu-Nisa. Un jour, alors que Feroz Shah sortait de la forteresse portugaise après y avoir rencontré le commandant militaire, il vit, en face de l’entrée de la forteresse, la porte ouverte de la maison de Raïs Badruddin, le juge en chef du Maghestan. Il s’y rendit, frappa à la porte et fut reçu par Raïs Badruddin qui le conduisit à son majlis. — « Les Portugais subissent une très forte pression ; leurs pouvoirs sont affaiblis et les tribus arabes attaquent nos territoires sur les côtes du Golfe et sur la côte d’Oman, » dit Feroz. « Du côté perse, nos postes sont également menacés par les forces perses. Quelle est la situation chez vous au Maghestan ? » demanda-t-il. — « Votre Altesse connait la zone montagneuse qui borde la côte perse en face d’Ormuz. Elle s’étend jusqu’à la frontière de Kerman où se trouve la forteresse Tezreg du Maghestan. Cette région est la seule route qui mène à Kerman et aux régions du nord. La plupart des revenus viennent des services fournis aux caravanes et des taxes qui en sont collectées. Si cette région devait tomber entre les mauvaises mains, le gouvernement d’Ormuz serait privé des ces revenus. En réalité, je suis venu ici pour vous demander de renforcer les forteresses et les
42 tours là-bas et de leur fournir des hommes etdes armes, » dit Raïs Badruddin. — « Sommes-nous menacés par Lar ? » demanda Feroz Shah. — « Lar lui-même est menacé par les forces perses, » répondit Badruddin. « Ils n’oseront pas envahir le Maghestan, pas après la leçon inoubliable que nous leur avons donnée. Vous étiez présent lorsque le Maghestan a été repris. Dites-moi ce qui s’est passé de sorte que nous prenions les précautions nécessaires. » Raïs Badruddin commença à raconter à Feroz Shah les détails de tout ce qui s’était passé. Il dit : « J’étais avec mon frère, le vizir Nuruddin, avec votre père et les troupes portugaises. Après l’occupation de la région par le fils aîné du roi de Lar en 1582, la nouvelle de la mort de son père et de la prise du pouvoir par son plus jeune frère arriva. Il retourna immédiatement à Lar avec ses troupes conquérantes pour reprendre Lar à son frère. Cependant, il laissa derrière lui une garnison dans la forteresse de Tezreg et une autre à Shemel. Les forces portugaises qui étaient accompagnées du roi d’Ormuz, Ferug Shah, parvinrent à reprendre la forteresse de Tezreg mais échouèrent à en faire de même avec celle de Shemel. Elles tinrent donc le siège pendant longtemps, en vain. Il vint à notre connaissance que des espions de Lar avaient infiltré la population de Shemel et qu’ils fournissaient de la
43 nourriture à la forteresse de Shemel en utilisant des paniers accrochés à des cordes qu’ils faisaient descendre du haut de la forteresse. Comme les palmiers très hauts étaient tout proches de la forteresse, ces activités étaient passées inaperçues. Finalement, l’un des chefs là-bas servit de médiateur entre les deux parties en guerre. Il proposa au roi d’Ormuz que les Lariens quittent la forteresse sans armes à condition que le roi d’Ormuz leur offre protection à partir du moment où ils quitteraient la forteresse jusqu’à ce qu’ils atteignent le carrefour menant au royaume de Lar. Ceci fut convenu. Mais lorsque les Lariens atteignirent la vallée, à l’entrée de la route de Shemel, les gens de Shemel les attaquèrent et les tuèrent jusqu’au dernier. Cela rendit le chef médiateur fou furieux, il enfourcha son cheval et alla en toute hâte au camp portugais sur le plateau près de la forteresse en hurlant « Gonçalo,* Jerónimo † », les noms des officiers portugais chargés de cette campagne. Il entra à cheval dans la tente du commandant et en ressortit comme une flèche là où se trouvaient les tentes des soldats. Mais dès que les soldats le virent, ils l’attaquèrent avec leurs épées et laissèrent son corps en pièces. Le roi fut très fâché de ce que les gens de Shemel avaient fait. Ils répondirent en disant que les soldats lariens avaient violé leur honneur quand ils étaient venus à Shemel. » * Dom Gonçalo de Menezes était le commandant de la forteresse d’Ormuz. † Dom Jerónimo de Mascarenhas était le commandant en chef.
44 Raïs Badruddin changea ensuite de sujet et dit : — « Je suis venu ici informer votre père, le roi, que son fils, Muhammad Shah, m’avait demandé la main de ma fille en mariage. Je lui ai dit que je devais d’abord en parler à votre père, le roi. Me permettrez-vous d’aller voir votre père ? » — « Je suis moi-même venu vous demander l’autorisation d’épouser votre nièce, Bibi Fatima, conformément aux ordres du vice-roi de l’Inde, » dit Feroz Shah. — « J’ai entendu parler de cela, » dit Rais Badruddin. »Je ne vois pas d’objection à cette requête, mais je dois solliciter l’approbation du roi ainsi que celle de la fille. » — « Allons donc au palais, » répondit Feroz. Au palais restaient le vieux roi Ferug Shah avec sa femme Sayyidatu-Nisa, leur fille Bibi Fatima et leur fils, le vizir Afonso Daylamitia. Ils avaient également des serviteurs dans une partie du palais près de la cuisine. Feroz Shah et Raïs Badruddin arrivèrent au palais et demandèrent à Sayyidatu-Nisa s’ils pouvaient voir le roi Ferug Shah. Elle les y autorisa. En présence du roi, Raïs Badruddin lui demanda de ses nouvelles et lui parla ensuite de la proposition de Muhammad Shah d’épouser sa fille. Ferug Shah donna son approbation. Ensuite, Raïs Badruddin parla au roi de la proposition de Feroz Shah d’épouser Bibi Fatima. Le
45 roi dit que Raïs Badruddin devrait aller lui demander lui-même si elle acceptait la proposition de Feroz. Raïs Badruddin sortit pour aller parler à Bibi Fatima. Il la fit venir et lui parla du désir de Feroz de l’épouser. Elle ne répondit ni positivement ni négativement. Au lieu de cela, elle se retira pour aller faire part à sa mère de cette demande. Raïs Badruddin retourna voir le roi qui lui demanda ce qu’avait dit Bibi Fatima. — Elle n’a rien dit, répondit Badruddin. — Qui ne dit mot consent, dit le roi. Qu’on les marie. Bibi Fatima fut donc donnée en mariage au fils du roi d’Ormuz, Feroz Shah. Même s’il était naturel qu’un fils succède à son père en tant que roi, Feroz Shah était le fils d’une esclave. Ses droits, comparés à ceux des autres fils du roi, étaient d’une nature un peu particulière. Bizarrement, ces derniers possédaient tout ce que leur père avait possédé, ils possédaient donc la mère de Feroz puisque leur père ne lui avait jamais accordé la liberté. En même temps, Bibi Fatima était la fille du beaufrère du roi et la sœur de l’éminent vizir aux mains duquel se trouvaient tous les pouvoirs du gouvernement, notamment les pouvoirs judiciaires et de mise en œuvre de la justice, et le contrôle des finances au plus haut niveau. Feroz Shah insista pour consommer son mariage avec Bibi Fatima qui ne cessait de remettre la chose à plus tard en prétendant être souffrante. Finalement, il
46 fut décidé qu’elle devrait s’installer avec son mari dans pas plus d’une semaine. Bibi Fatima réagit rapidement. Elle envoya un certain nombre de messages au prêtre par l’entremise du jeune homme qui lui enseignait le portugais. Dans ses messages, elle le suppliait de lui dire ce qu’elle pouvait faire pour atteindre ses fins. Elle informa également le commandant militaire de la situation. Elle avait naturellement conscience des risques qu’il y avait à mener à bien son objectif. Elle comprenait également que le prêtre faisait tout ce qu’il pouvait pour l’aider. Pour sa correspondance avec le commandant militaire elle utilisa le même canal et elle écrivit qu’elle se sentait délaissée et que la responsabilité reposait sur les épaules du commandant puisque sa vie et son salut éternel étaient en danger. Elle dit que la situation était désespérée et qu’il était important que sa demande en tant que femme musulmane requérant de l’aide soit entendue et qu’il faudrait vraiment une très bonne raison pour ne pas prendre le risque de l’aider dans une situation aussi critique que la sienne. Le commandant militaire répondit en disant que si tel était bien le cas, il lui fallait une preuve de la véracité de ses dires. Il dit qu’il se trouverait dans un espace ouvert à l’extérieur de la ville à une heure précise et qu’il aurait besoin de sa confirmation lorsqu’il se mettrait en route. Il dit qu’il pourrait parvenir à la conclusion souhaitée si elle devait lui confirmer ce qu’elle disait et pour preuve d’une telle confirmation, il voulait qu’elle lui envoie sa robe.
47 Bibi Fatima lui envoya l’une de ses tenues de soie baju qui se portait dans ces régions comme une sorte de chemise. Il était clair que la réponse à de telles demandes d’aide justifiées ne saurait souffrir aucun retard. Bibi Fatima vivait dans l’un des appartements du palais royal avec sa mère et son frère et d’autres personnes. Pour quelqu’un comme elle, vivant dans ce type d’endroit, il est facile d’imaginer quels problèmes pourraient survenir si ses plans venaient à être découverts. Elle prétendit d’abord être souffrante et avoir besoin de repos pour se remettre d’une maladie qui était très différente de ce que sa mère croyait être. Le commandant militaire appela Alvaro de Avelar, le commandant général de la flotte, et l’informa qu’il avait besoin de garder quelques criminels prisonniers dans un endroit où il avait lui-même besoin de se trouver en compagnie de cinquante soldats, et qu’il devrait se tenir prêt à venir à la rescousse si quelque chose devait se produire. Utilisant la même histoire, il demanda au hâjib* d’attendre à un autre endroit. Il appela également Simao Ferreira, l’interprète, un homme qui disposait de grands pouvoirs et d’une grande renommée parmi toutes les nations. Il lui demanda de l’attendre dans un troisième endroit. Il tint une réception secrète en son honneur et lui demanda ensuite de surveiller la porte de la maison du vizir d’où Fatima était susceptible de sortir, et de l’ouvrir si nécessaire. * : équivalent du chambellan. NdT ma lui envoya l’une de ses tenues de soie rtait dans ces régions comme une sorte de lair que la réponse à de telles demandes es ne saurait souffrir aucun retard. ma vivait dans l’un des appartements du avec sa mère et son frère et d’autres our quelqu’un comme elle, vivant dans ce t, il est facile d’imaginer quels problèmes urvenir si ses plans venaient à être endit d’abord être souffrante et avoir os pour se remettre d’une maladie qui était de ce que sa mère croyait être. andant militaire appela Alvaro de Avelar, nt général de la flotte, et l’informa qu’il de garder quelques criminels prisonniers roit où il avait lui-même besoin de se ompagnie de cinquante soldats, et qu’il nir prêt à venir à la rescousse si quelque se produire. Utilisant la même histoire, il hâjib* d’attendre à un autre endroit. Il ment Simao Ferreira, l’interprète, un disposait de grands pouvoirs et d’une mmée parmi toutes les nations. Il lui ’attendre dans un troisième endroit. Il tint secrète en son honneur et lui demanda veiller la porte de la maison du vizir d’où susceptible de sortir, et de l’ouvrir si * t du chambellan.
48 Ils discutèrent de la situation et s’entendirent sur le fait que Simao Ferreira devait aller voir le vizir Afonso Daylamitia, le frère de Bibi Fatima, pour le compte du commandant militaire et lui demander de mener des négociations avec quelques commerçants perses qui venaient d’arriver avec d’autres personnes qui revenaient du Hajj. L’idée était que les portes du port restent ouvertes. Le commandant militaire avertit Simao Ferreira que s’il entendait quelque bruit ou perturbation, il dirait au vizir qu’aucun trouble ne devait se produire sinon il serait puni pour mutinerie. Puis des soldats et des armes furent placés dans la forteresse. S’ensuivit un ordre envoyé au commandant naval concernant la procédure à suivre au cas où un incident se produirait. La nuit, le commandant militaire partit, armé légèrement, accompagné du prêtre et du jeune homme, qui était un leurre. Le jeune homme leur servant de guide, ils entrèrent par la porte de la maison du vizir. À ce moment-là, ce dernier était fort occupé avec les questions liées au port. Ils montèrent à l’étage et atteignirent l’entrée à une pièce. Ils restèrent dans l’ombre tandis que le jeune homme faisait passer un message à Bibi Fatima. Lorsqu’elle eut ce message, elle sortit seule à la recherche de ceux qui se cachaient. Elle eut un choc lorsqu’elle s’approcha du commandant militaire. Elle lui toucha la main pour vérifier qu’il lui manquait un doigt, ce qui était le moyen de confirmer son identité. Il s’agissait bien de lui. Elle comprit que ses vœux allaient bientôt se réaliser.
49 « Je mets ma vie entre les mains du Seigneur, mon Dieu, qu’il fasse de moi ce qu’il veut, » dit-elle. Devant le prêtre elle réitéra les mêmes confessions, et ils descendirent ensuite au rez-de-chaussée. Lorsqu’ils furent arrivés à la porte, le commandant militaire et le hâjib prirent la situation en mains. Ils emmenèrent Bibi Fatima à la maison de Simao da Costa, le directeur du Trésor, un homme très puissant et respecté dans la ville et qui vivait près de la forteresse. Au port, les gens du coin faisaient du bruit en attendant le débarquement des pèlerins. Les soldats qui se dirigeaient vers le port faisaient également du bruit. Ils devaient empêcher les pèlerins de quitter le navire. Le commandant militaire demanda au vizir de ramener le calme pour qu’il puisse discuter de la situation le lendemain. Le vizir fut satisfait et les choses se calmèrent. Le commandant militaire se retira dans la forteresse en laissant Bibi Fatima sous haute garde à l’endroit où elle avait été amenée plus tôt. Bibi Fatima elle-même était ravie de s’être échappée. À la première heure le lendemain matin, le roi accompagné d’environ 5000 Ormuziens se rendit à la porte de la maison de Raïs Badruddin qui donnait sur la cour ouverte devant la porte de la forteresse. De là, le roi se plaignit amèrement au commandant militaire de l’enlèvement de Bibi Fatima et demanda que sa bellefille lui fût rendue, disant que Sa Majesté désapprouvait ce qui s’était passé. Le commandant militaire envoya un émissaire avec un message pour ordonner à tous les Arabes qui n’étaient pas liés à la famille du roi ou à son service de
sheikhdrsultan.aeRkJQdWJsaXNoZXIy OTg0NzAy