Couverture: Marie Petit, par l’artiste espagnol “Carlos Marinas”
4 L’Audacieuse Texte original publié en arabe en 2022 par Al-Qasimi Publications sous le titre “Al-Jarī’ah”. Auteur: Dr. Sultan Bin Muhammad Al-Qasimi (Emirats Arabes Unis). ------------------------------------------ Editions: Al-Qasimi Publications, Sharjah, Emirats Arabes Unis Edition: Originale. Année d’édition: 2022. © Tous droits réservés. Al-Qasimi publications. Sharjah, Emirats Arabes Unis ------------------------------------------ Traduit de l’anglais par: Pascale Pingel ------------------------------------------ ISBN: 978-9948-807-06-3 Autorisation d’impression: Media Regulatory Office, Ministry of Culture and Youth N°. MC 01-03- 2328576, Date: 13-10-2022 Impression: AL Bony Press- Sharjah, UAE Classification: Pour tous âges – classe E La tranche d’âge correspondant au contenu des livres a été classée selon la classification par âge établie par le Conseil national des médias. ------------------------------------------ Al-Qasimi Publications, Al Tarfa, Sheikh Muhammad Bin Zayed Road P.O. Box: 64009 Sharjah, United Arab Emirates. Tel: 0097165090000, Fax: 0097165520070 Email: info@aqp.ae
5 Sommaire Préface 7 1: La mission diplomatique française en Perse 9 2: Mort de l'ambassadeur Fabre 21 3: Marie Petit, Héroine du moment 33 4: Conflit de pouvoir entre Michel et Marie Petit 45 5: Marie Petit poursuit toujours le recouvrement de sa dette 61 References 75
7 Préface "L'Audacieuse" est un récit historique qui a fait l'objet de recherches minutieuses. Tout a commencé lorsque le roi de Perse a souhaité établir une alliance avec la France afin de pouvoir conquérir Mascate avec l'aide des Français(1), car il craignait que les Omanais ne contrôlent toutes les eaux entourant la Perse. L’objectif du roi de (1) Les Relations Entre Oman Et La France 1715-1905, de Sultan Muhammad Al-Qasimi, Ed. L’Harmattan, Paris, France, 1995.
8 France était quant à lui, d’engager la France dans un commerce actif avec la Perse, à l’instar des Hollandais et des Britanniques. Les arrangements prévoyaient que la France enverrait une mission diplomatique dans la capitale persane, Ispahan. Le destin voulut que cette mission se solda par un échec, tandis que Marie Petit se retrouvait emprisonnée et jugée. L'auteur.
9 1 La mission diplomatique française en Perse Jean-Baptiste Fabre arriva à Paris en provenance de Constantinople(1) en 1702, ayant quelques affaires à régler à la cour de Louis XIV. À Constantinople, il habitait une maison jouxtant l'ambassade de France. Lorsqu'il partit pour Paris, il laissa sa femme Anne Cataro et ses trois enfants à la résidence (1) Constantinople est l’actuelle Istanbul.
10 et aux soins de l'ambassadeur de France à Constantinople, M. de Ferriol. Monsieur Fabre appartenait à une famille de négociants de Marseille dont il était originaire ; lui-même négociant depuis son plus jeune âge, il dirigeait en 1675 un comptoir à Constantinople, et fut élu représentant de la nation française en Turquie. A Paris, Fabre logeait dans une maison proche de celle de Marie Claude Petit. Fille d’une blanchisseuse, Marie Petit avait vingt-huit ans et tenait une maison de jeu rue Mazarine. Amesure qu’ils apprenaient à se connaître, Marie Petit trouvait que Fabre était une personne digne de confiance. Selon ses obligations et le temps dont il disposait,
11 Fabre se rendait, à intervalles réguliers, à la maison de jeu pour tenter sa chance. Le gouvernement français cherchait une personne capable de parler les langues orientales et possédant certaines qualités nécessaires à un diplomate, pour diriger sa mission diplomatique en Perse. Avisé, Fabre entreprit à chaque fois que l'occasion se présentait, de faire valoir sa grande connaissance des pays et des langues de l'Orient, quitte à exagérer un peu. Par bonheur, ses paroles parvinrent juqu’au Conseil du roi. En conséquence, en janvier 1703, il fut chargé par le roi Louis XIV, de la mission d'ambassadeur de France en Perse sous le règne du Shah Soltan Hosayn. Si l'ambassadeur de France à
12 Constantinople, M. de Ferriol, avait été consulté au sujet de la nomination de Fabre, il aurait affirmé que celui-ci n'était pas qualifié pour le poste et il aurait proposé quelqu’un d’autre. En 1703, les préparatifs de la mission diplomatique furent terminés, tout ayant été soigneusement pensé et mis en œuvre. Mais alors que Fabre avait obtenu des domestiques et une suite, ses difficultés financières empirèrent et il ne fut plus en mesure de payer sa propre nourriture, ni celle de ses domestiques et de sa suite. Cherchant une solution, il se confia à Marie Claude Petit et lui fit part de la situation difficile dans laquelle il se trouvait. Il la supplia de lui venir en aide dans cette période de grande difficulté, l’implorant avec tant d’insistance qu’elle ne put
13 refuser. Marie Petit pensait en outre qu’une personne choisie par le roi de France pour être ambassadeur n’aurait aucun problème à la rembourser. Elle donna à Fabre la somme qu'il lui demandait, celui-ci ayant progressivement augmenté le montant de l’emprunt jusqu'à atteindre 8000 livres francaises(1) . Il promit à Marie Petit de la rembourser avec son salaire, et lui signa une reconnaissance de dette à cet effet. En novembre 1703, Fabre reçut son salaire de 1500 livres françaises ! Les cadeaux offerts par le roi Louis XIV et destinés au Shah Soltan Hosayn avaient été soigneusement choisis et devaient être remis (1) La livre française est une unité de compte monétaire définie, utilisée dans le Royaume de France entre 781 et 1794.
14 par Fabre. Parmi eux se trouvaient: trentetrois montres, six pendules, vingt boîtes de fruits sucrés marocains, une tapisserie, quatre petits canons, un fusil de collection, deux pistolets, une lanterne magique, ou encore un exemplaire de l’Histoire de Louis XIV par les médailles avec sa traduction en perse. Marie Petit, qui avait espéré que Fabre la rembourserait avant de quitter Paris, fut terriblement décue, car malgré plusieurs tentatives pour recouvrer son argent, elle n’en perçut pas un sou. Un jour, alors qu’il devait se rendre à Lyon pour affaires, Fabre lui proposa de l’y rejoindre afin de lui remettre son dû. Marie Petit, qui devait aller à Moulins pour rendre visite à sa mère, le supplia de la rembourser avant de partir. Mais tandis qu’elle finit par
15 se rendre à Moulins sans son argent, Fabre lui écrivit de Lyon qu'il ne pourrait pas rembourser sa dette. Elle décida alors de l’affronter et partit sur le champ pour Lyon, à 190 km de Moulins. A son arrivée, elle le pressa de la rembourser, mais ses tentatives restèrent vaines. Et Fabre de lui dire que son argent se trouvait auprès de marchands à Marseille, et qu’il lui promettait qu’elle y serait payée là-bas. Marie Petit se rendit donc à Marseille et séjourna à l'Hôtel de Lyon, rue de Rome. Fabre, quant à lui, logeait à la Maison du Roi. Mais lorsqu’elle demanda à son arrivée, où il se trouvait, on lui répondit qu'il était parti avec sa suite au port de Toulon, situé à une soixantaine de kilomètres à l’est de là. Elle se mit donc en route pour aller le retrouver.
16 Au port de Toulon, le vaisseau royal Le Trident commandé par M. de Turgis était à quai. À son bord, se trouvaient Fabre et sa suite de 50 personnes ainsi que les proches de l'ambassadeur dont son neveu Jacques Fabre et son médecin Louis Robin. Marie Petit se rendit au port, sur le quai où le bateau était amarré, et alla s'enquérir de l'ambassadeur Fabre. Elle fut accueillie par le majordome de ce dernier, un nommé Du Hamel. Marie Petit connaissait ce Du Hamel qu’elle avait rencontré auparavant à Lyon avec Fabre. Du Hamel lui annonça que Fabre était à bord. Elle lui dit de demander à Fabre de respecter la promesse qu'il lui avait faite et de rembourser sa dette. Du Hamel lui répondit qu’il allait demander à l'ambassadeur.
17 Un instant plus tard, le majordome réapparut et annonça à Marie Petit que M. l'ambassadeur lui faisait dire que l'argent était à Alep et qu'il la paierait à son arrivée là-bas. La mission diplomatique se dirigeait vers la Perse, et il avait été décidé qu'elle emprunterait la route commerciale passant par Alep et l'Irak pour arriver en Perse. A l’époque, Marie Claude Petit était très loin de chez elle. Depuis son depart de Paris, elle avait parcouru 300 km pour aller à Moulins et avait dû poursuivre son débiteur sur encore 190 km jusqu’à Lyon. Là, après qu'il lui eut promis de la payer à Marseille, elle l'y avait suivi, parcourant 313 km supplémentaires, pour finalement s'entendre dire qu'il était parti à Toulon, à 60 km de Marseille.
18 A Toulon, il avait disparu comme un mirage, et on lui avait annoncé que l'argent était à Alep! Craignant de perdre la totalité de ses 8000 livres si elle rentrait chez elle sans son argent, elle se résolut à poursuivre son débiteur jusqu'à Alep. Le 2 mars 1705, le Trident appareilla du port de Toulon pour se rendre au port d'Alexandrette. Il était escorté par deux navires de guerre appartenant au roi de France, la Méditerranée n'étant pas à l’époque réputée pour la sécurité de la navigation. Alors que le navire levait l'ancre, un séduisant jeune homme, accompagné d'un comparse, apparut et attira la curiosité des passagers. Toutes les personnes de la suite de l’ambassadeur se demandèrent qui il était, se disant: “Peut-être est-il un parent
19 de l’ambassadeur” ou encore “C’est peutêtre un officier de la suite”. Alors que le Trident atteignait la pleine mer, un vent violent souffla et fit tanguer le navire d’un bord à l’autre. Sur le pont, les deux jeunes gens tombèrent au sol, et au moment où le plus charmant parvenait à se relever et à remettre de l’ordre dans sa tenue, il fit tomber son chapeau. Ses longs cheveux châtains tombèrent alors sur ses épaules. Il regarda autour de lui et découvrit que tous les members de la suite, les marins et les proches de l’ambassadeur le dévisageaient, stupéfaits. Marie Petit inventa aussitôt une histoire pour se tirer de la situation embarrassante dans laquelle elle se trouvait. Elle détourna tout d'abord son regard, et prenant une
20 attitude indignée, déclara aux personnes présentes, qu'elle était la femme de Du Hamel, et que l'autre jeune fille était sa femme de chambre, Manon. Le majordome Du Hamel se précipita immédiatement chez l'ambassadeur Fabre pour lui rapporter les événements qui venaient de se dérouler. Fabre partit chercher Marie Petit et Manon et les escorta jusque dans sa cabine où il dit à Marie : "Si vous cessez de me réclamer votre argent (pendant le voyage), j'accepterai que vous continuiez à bord en tant que madame Du Hamel". Marie Petit accepta la proposition, et pendant toute la durée du voyage, elle devint "madame Du Hamel".
21 2 Mort de l'ambassadeur Fabre La traversée de la Méditerranée de Toulon à Alexandrette prit six semaines, et les vaisseaux du roi arrivèrent au port le 8 avril 1705. L'ambassadeur Fabre et ses compagnons furent reçus par l'Agha, le gouverneur du port d'Alexandrette, qui leur fournit les chevaux et les mules nécessaires à leur transport. Afin de faciliter le passage de la mission diplomatique française, l’Agha leur remit également les lettres
22 officielles à présenter aux points de contrôle sur le chemin d'Alep. Le départ pour Alep eut lieu le 13 avril 1705. Constatant que la caravane de la mission diplomatique française était sur le point de partir pour Alep, le capitaine du Trident, M. de Turgis, qui se trouvait à proximité du port d'Alexandrette, donna l'ordre aux vaisseaux qui l'accompagnaient de le suivre pour retourner en France. La caravane arriva à Alep le 17 avril 1705. Marie Petit, qui se faisait appeler Mme Du Hamel, avait pris l'habitude de se promener dans les rues d'Alep à visage découvert, contrairement aux instructions des autorités ottomanes. Ce faisant, alors qu'elle se rendait à des réunions avec des dignitaires de la ville, elle attirait l'attention des jeunes hommes d'Alep qui étaient envoûtés par sa beauté.
23 Le gouverneur turc d'Alep ainsi que les religieux chrétiens durent intervenir pour empêcher Mme Du Hamel de continuer à agir de la sorte. Pour échapper à la pression, Marie Petit chercha le soutien de Fabre ; mais celui-ci en profita pour essayer de lui soutirer davantage d'argent, lui demandant alors 2000 livres supplémentaires. Marie Petit lui précisa que sa créance serait alors de 10 000 livres, et qu'il devrait la rembourser intégralement en un seul versement. Mais Fabre n'était pas d'accord et il souligna que le nouveau montant accordé lui serait réglé par monsieur Blanc, consul de France à Alep, au titre de ses frais de voyage. Agissant sur les instructions de l'ambassadeur de France à Constantinople M. de Ferriol, le consul de France à Alep,
24 incitait les autorités turques à faire obstacle au passage de la mission diplomatique française en Perse passant par l'Irak. Ferriol tentait de renvoyer en France la mission diplomatique française dirigée par Fabre. Il connaissait très bien Fabre, et était certain qu'il n'était pas compétent pour être ambassadeur, d'autant plus que c’était Ferriol lui-même qui avait fait toutes les démarches nécessaires auprès des autorités persanes pour envoyer une mission française en Perse. Le premier ministre du gouvernement turc était opposé au passage d'un aussi grand nombre de Français en Perse à travers les territoires turcs. Il écrivit donc à Versailles : "Le gouvernement turc s'oppose à ce que la mission diplomatique française poursuive sa route vers la Perse."
25 Bien que le roi Louis XIV tint absolument à ce que la mission se poursuive jusqu'au bout, Ferriol ignora le souhait du roi et fit tout son possible pour saboter la mission. Défait mais pas vaincu, l'ambassadeur Fabre n'eut d'autre choix que de retourner à Alexandrette avec la caravane, son équipage et sa suite; de là, il loua un navire pour le conduire à Chypre, emmenant avec lui Marie Petit, son neveu Jacques Fabre, son secrétaire Pierre Dubies, ses serviteurs, sa suite et les cadeaux du roi de France au shah de Perse. De Chypre, ils se rendirent à Rhodes, située à l'est de l'archipel de la mer Égée, puis à Samos, au nord de Rhodes. Là, il ordonna à son neveu, à son secrétaire, à tous les serviteurs et à la suite de rester à Samos avec les cadeaux du roi de France,
26 et d'attendre de ses nouvelles, tandis qu'il se rendait à Constantinople en compagnie de Marie Petit et de deux domestiques. À Constantinople, Fabre séjourna à la résidence de l'ambassadeur de Perse, qui était sur le point de partir pour Ispahan. Il y resta trente-cinq jours déguisé en tenue de Géorgien, se cachant de ses débiteurs de Constantinople, tandis que Marie Petit était logée dans la maison d’un de ses amis arméniens, le dénommé Baron Sufer. Dès qu'elle devait sortir pour une raison quelconque, elle se déguisait, elle aussi, en habits géorgiens. Inquiet des bénéfices que la Perse pourrait tirer des nouvelles relations commerciales avec la France, le Premier ministre turc était au depart peu disposé à autoriser la mission diplomatique française à traverser
27 les territoires turcs. Derrière tout cela se trouvait Ferriol lui-même. Finalement, grâce à l'insistance de madame Anne Cataro, l'épouse de Fabre, le Dīwān turc autorisa le voyage de Fabre, Marie Petit et toute la mission de Samos à travers la Turquie. Fabre écrivit donc de Constantinople à son secrétaire Dubies (resté à Samos), qu'il se rendait incognito en Perse, avec l'ambassadeur de Perse. Ce message et l'autorisation pour lamission diplomatique française de voyager à travers les territoires turcs, furent apportés par l'ami arménien de Fabre, Sufer, qui navigua jusqu'à Samos. Fabre ordonna également à la mission de se rendre à Izmir(1) par (1) Izmir s’appelait autrefois Smyrne.
28 la mer, et de se diriger de là vers les frontières perses. Fabre et Marie Petit se rendirent en Perse en compagnie de l'ambassadeur de Perse en Turquie, laissant derrière eux Ferriol et ses menaces de renvoyer Fabre en France ; mais ce dernier était déjà hors de la zone de danger. En janvier 1706, après soixante-dix jours de voyage, Fabre et Marie Petit arrivèrent à Erevan, une ville arménienne occupée par les Perses. Au cours du voyage ConstantinopleErevan, l'ambassadeur Fabre avait emprunté 4200 livres supplémentaires à Marie Petit pour ses frais de voyage. En conséquence, la dette de Fabre envers Marie Petit était passée à 12 200 livres, ce pour quoi il lui signa une nouvelle reconnaissance de dette.
29 À l’arrivée de Fabre et de ses compagnons, parmi lesquels son assistant, son majordome et Marie Petit (alias Mme Du Hamel) à Erevan, il fut reçu par le gouverneur perse de la ville, Mohammed Khan, également connu sous le nom de Khan d'Erevan. Le gouverneur envoya immédiatement un message au gouvernement perse concernant l'arrivée de l'ambassadeur français, en demandant des instructions supplémentaires à ce sujet. Il leur offrit toutefois la possibilité de loger dans une demeure qu'il possédait à Erevan. L'Arménien Sufer arriva sur l'île de Samos afin de faire passer la mission à Izmir. Mais les autorités de l'île refusèrent que les précieux cadeaux partent sans l'autorisation des autorités de la capitale, Athènes, au motif que
30 Samos était un territoire grec. En conséquence, la mission diplomatique française se rendit à Athènes avec Sufer, en compagnie de représentants officiels de Samos. Ils arrivèrent dans le port de Rafina, à 28 km à l'est d'Athènes. Les efforts de Sufer sur place s’étant révélés infructueux, celuici envoya une lettre au fils de l'ambassadeur Fabre à Constantinople, Joseph Fabre, lui demandant de l'aide pour mettre fin à cette mainmise. La mère de Joseph, madame Anne Cataro, qui entretenait de bonnes relations avec de nombreux ambassadeurs, réussit à procurer à son fils des lettres du gouvernement grec autorisant la mission diplomatique française à poursuivre son voyage. Joseph Fabre se rendit donc à Rafina pour mettre fin à cette épineuse situation.
31 Le bateau quitta Rafina pour Izmir avec à son bord la mission diplomatique française composée de Joseph Fabre, Jacques Fabre son cousin, Sufer, la suite de l'ambassadeur français et les cadeaux du roi de France. À Izmir, ils prirent la route jusqu'à Erevan, à la frontière perse. Fabre eut l’arrogance de demander au Khan d'Erevan de lui verser une indemnité journalière de 600 livres, soit dix fois plus que ce que recevait une personne dans la même situation. Il demanda également 100 livres par jour pour Marie Petit eu égard à son statut d’«envoyée des Princesses de France». Le Khan d'Erevan reçut des instructions de la cour de Perse à Ispahan, autorisant la mission diplomatique française à se rendre à Ispahan. L'ambassadeur Fabre répondit
32 qu'il souhaitait avant cela attendre l'arrivée des cadeaux envoyés par le roi Louis XIV au roi de Perse, le Shah Soltan Hosayn. Mais durant son séjour, Fabre contracta une fièvre qui le cloua au lit. Malgré son état de santé, le Khan d'Erevan et Marie Petit l'emmenèrent à une partie de chasse dans les environs d'Erevan. Lorsque Fabre regagna la résidence, il tomba gravement malade et mourut le 16 août 1706.
33 3 Marie Petit, Héroine du moment L'ambassadeur Fabre étant décédé, Marie Petit demanda au juge d'Erevan de faire l'inventaire de tous les biens du défunt monsieur Fabre, de ses propres biens, de ceux de la mission diplomatique française ainsi que de ceux des domestiques de Fabre. Ce travail fut réalisé et l'inventaire envoyé à Marie Petit. Toutes les affaires de Fabre furent remises au Dīwān du Khan d'Erevan.
34 La mission diplomatique française venant d'Izmir et accompagnée par Joseph et Jacques Fabre, fils et neveu du défunt ambassadeur, de Sufer l’Arménien et de la suite arriva à Erevan avec les cadeaux du Roi de France. Le Khan d'Erevan donna l'ordre au trésorier du Dīwān de remettre tous les biens de Fabre à son fils Joseph. Alors que les Français se rassemblaient pour pleurer la mort de Fabre, le majordome Du Hamel était particulièrement bouleversé par la rumeur selon laquelle sa prétendue épouse Marie Petit avait conspiré avec le Khan d'Erevan pour empoisonner le défunt Fabre. Submergé par ses émotions, Du Hamel lui hurla "Tu es une putain". Choquée par ses propos, Marie Petit
35 exigea du Khan d'Erevan qu’il punisse Du Hamel pour ses insultes. Du Hamel fut arrêté et mis en détention. Le Khan d'Erevan écrivit ensuite au roi de Perse pour l'informer de la mort de Fabre. Il donna également l'ordre à Marie Petit et à tous les Français de se rendre à Kanaker, une petite ville située à environ 11 km au nord d'Erevan, où ils seraient logés dans la maison dite "la Résidence de France", appartenant au consulat de France à Erevan. Les membres de la mission diplomatique obéirent aux ordres. Un jour, alors qu'ils étaient assis à table, une femme leur apporta un panier de fruits. Justiniani, le valet, présenta le panier à Joseph Fabre, qui prit quelques fruits. Après quoi, Justiniani prit le panier et le mit de côté, hors de portée de tous.
36 Marie Petit protesta contre l'action du domestique et voulut qu'on lui rapporte le panier de fruits, mais Justiniani s'y opposa brutalement. Elle prit alors une grenade et la lança sur lui, le touchant à la tête, ce qui provoqua une avalanche d'insultes de la part de Justinian à son encontre. Tous ces événements soudains causèrent un chaos extrême dans la Résidence française. Rapidement, la nouvelle se répandit dans tout Kanaker jusqu’aux oreilles du Khan d'Erevan, qui ordonna immédiatement à son fils et à quelques autres personnes d'aller enquêter sur ce qui s'était exactement passé et de faire la lumière sur les circonstances de l’incident. La vérité fut rapidement découverte et le fils du Khan d'Erevan, accompagné de sa troupe, rapporta les événements au Khan qui
37 ordonna alors que Marie Petit fût conduite à Erevan. Une fois arrivée, le Khan voulut connaître la vérité sur l'incident dans lequel elle était impliquée. Il la convoqua et la fit témoigner devant toutes les personnes présentes. Elle fit un récit véridique de ce qui s'était passé entre elle et le serviteur Justiniani, après quoi le Khan fit venir Justiniani pour entendre sa version des faits. Mais Justiniani ne put fournir la moindre raison valable pour justifier son terrible comportement et l'impudence effrontée dont il avait fait preuve à l'égard de Marie Petit. En conséquence, il fut ordonné de le conduire à la prison d'Erevan. Les Français présents à Kanaker décidèrent cependant de marcher sur la prison et de libérer Justiniani.
38 À 21 heures, les Français arrivèrent à la prison, conduits par Jacques Fabre et l'Arménien Sufer qui dirigeait la mission de Samos à Erevan. Les Français employèrent toutes sortes de moyens violents pour faire sortir Justiniani de la prison, et ils réussirent à le ramener à la Résidence de France à Kanaker. Les actions des Français rendirent furieux le Khan d'Erevan, qui exigea à trois reprises que les Français ramènent le prisonnier en prison, mais sa demande fut à chaque fois rejetée. À bout de patience devant tant d'insolence, le Khan leur envoya une force de cent hommes armés et ordonna au chef de s'emparer de Justiniani. Les Français résistèrent et se rassemblèrent armés sur un balcon d'où ils tirèrent à volonté et sans relâche sur les forces perses,
39 tuant deux personnes et en blessant deux autres. Terriblement indignés par leurs pertes, les Perses attaquèrent la résidence française et la pillèrent avec un manque total de considération pour toutes les personnes, y compris Marie Petit qui y perdit des effets personnels pour une valeur de huit cents livres. Les Perses arrêtèrent ensuite Justiniani et de nombreuses autres personnes, dont Jacques Fabre. Tous furent traînés à la prison d'Erevan. Marie Petit se précipita chez le Khan d'Erevan et obtint la grâce de Jacques Fabre qui fut libéré le lendemain. Le Dīwān du Khan d'Erevan prépara un rapport sur le meurtre des deux soldats perses. Puis un inventaire des cadeaux et
40 des vêtements apportés avec les Français de Samos fut dressé. On demanda à Marie Petit d'estimer leur valeur, et le Khan en fut informé. Le Khan apprit également que le père jésuite de Mosnier, qui était arrivé de Samos avec la mission, était impliqué dans la fusillade. En conséquence, le Khan ordonna qu'il soit arrêté et mis en prison. Deux jours après la libération de Jacques Fabre, Marie Petit demanda à rencontrer le Khan d'Erevan dans l'espoir de pouvoir obtenir la libération des prisonniers français. Elle versa aussi secrètement 4000 livres françaises en pots-de-vin à ceux qui étaient susceptibles d’influencer le Khan en sa faveur. Lorsqu'elle rencontra le Khan, elle parla avec confiance et le Khan écouta tout ce qu'elle disait. Finalement, après de nombreuses et humbles plaidoiries, le
41 Khan accepta de libérer tous les Français, à l'exception du Père de Mosnier qui fut condamné à être décapité. Ce fut un choc pour Marie Petit, qui supplia le Khan avec toute l'humilité et la modestie dont elle était capable, de lui pardonner, mais ses supplications furent ignorées. Elle tomba à genoux aux pieds du Khan d'Erevan en le suppliant avec la plus grande ferveur, mais ses paroles tombèrent dans l'oreille d'un sourd. Elle se hâta de faire venir Joseph Fabre et son cousin Jacques Fabre qui supplièrent le Khan. Mais celuici refusa pour la troisième fois. Il n'y avait pratiquement plus aucun espoir de sauver le Père de Mosnier. Ce fut à ce moment-là que Marie Petit, se levant soudainement, déclara au Khan :
42 "J'accompagnerai le Père de Mosnier au gibet pour mourir à ses côtés." Le Khan d'Erevan, touché par cette dernière intervention, accepta sa demande de grâce en annulant l'exécution du Père de Mosnier. Ce dernier fut amené devant le Khan qui lui dit : "C'est en raison de l'importance que nous accordons à Marie Petit que votre exécution a été annulée. Vous devez comprendre qu'elle est la raison de votre libération et vous devez lui en être toujours reconnaissant et redevable." En revanche, Marie Petit eut beau essayer d'obtenir la grâce des deux Arméniens, Sufer et Cocurdoulun, impliqués, suivant le témoignage des Français contenu dans le rapport officiel du juge d'Erevan, ses tentatives échouèrent. Les deux Arméniens furent condamnés à mort pour venger le
43 meurtre des deux soldats perses lors de l'attaque contre la résidence française. Leur exécution eut lieu devant la Résidence de France et leurs cadavres furent pendus à des poteaux pendant deux jours. Quant à Justiniani, il fut renvoyé en prison avant d'être déclaré mort quelques jours plus tard. En tant qu’héroine du moment s'étant battue pour la libération des Français, Marie Petit demanda que les dettes que lui devait monsieur Fabre soient officiellement enregistrées. Le tribunal d'Erevan, après avoir écouté les témoins, fit droit à toutes ses demandes et décida qu'elle serait prioritaire sur tous les autres créanciers pour la succession de feu monsieur Fabre.
45 4 Conflit de pouvoir entre Michel et Marie Petit En réponse à la lettre qu'il avait envoyée précédemment, le Khan d'Erevan reçut une réponse du roi de Perse concernant la conduite à tenir vis-à-vis de Marie Petit et Joseph Fabre. Dans sa réponse, le roi indiquait qu'il serait heureux de rencontrer la femme qui avait amené Fabre en Perse, et qu'il avait également reçu la triste nouvelle de la mort de Fabre par son ambassadeur
46 auprès de la Sublime Porte ottomane. Le roi ordonna au Khan d'informer Marie Petit qu'il voulait qu'elle se rende à la cour de Perse avec Fabre Junior et le reste des Français. Suivant les instructions du roi, le Khan d'Erevan prit les dispositions nécessaires pour faire accompagner par des gardes, Marie Petit et le reste du groupe pendant leur voyage. Il lui demanda également de chiffrer la somme d'argent necessaire à ses dépenses quotidiennes dans les villes et villages qu'elle traverserait au cours du voyage. Lorsque Ferriol, l'ambassadeur de France à Constantinople, apprit la mort de Fabre, il désigna unilatéralement son secrétaire Pierre Victor Michel, chef de la mission diplomatique française en Perse sans
47 l'approbation du gouvernement français. Ferriol donna également l'ordre à Michel de renvoyer Marie Petit en France. Michel était un jeune homme de vingthuit ans originaire de Marseille et fidèle à Ferriol. Moins d'une semaine après avoir été informé de la mort de Fabre, il quittait Constantinople pour la Perse, sans autre pouvoir que les lettres que lui avait remises M. de Ferriol. Il était accompagné d'un drogman, d'un attaché militaire et de deux valets. Sous la protection de gardes perses, Marie Petit se rendit à Tabriz qui se trouvait à vingtquatre jours de la capitale, Ispahan. Quant à Michel, il arriva à Tabriz en décembre 1706 après un voyage de trente-huit jours. Il s’installa dans la même maison que Marie Petit, absente à ce moment-là. À son retour,
48 elle demanda aux Persans de lui affecter une autre maison, ce qui lui fut accordé. Arrivèrent également à Tabriz, Joseph Fabre et le reste des Français, apportant avec eux les cadeaux du Roi de France destinés au Roi de Perse. Ils furent accueillis par Michel qu'ils reconnurent comme nouveau chef de la mission diplomatique, et par conséquent, lui remirent les cadeaux du Roi de France. Quelques jours plus tard, Michel envoya son secrétaire Dubies à Marie Petit, lui expliquant qu'il serait avantageux pour eux tous de vivre sous le même toit et que son séjour lui serait rendu confortable. Ne souhaitant pas être isolée, Marie Petit accepta de déménager à nouveau, ce qu'elle fit dès le lendemain.
49 Pendant les quelques jours qui suivirent, Marie Petit et Michel firent preuve d’un respect mutuel et d’un comportement cordial. Cependant, elle ne tarda pas à découvrir son manque de jugement et ses regards libidineux posés sur elle. Elle repoussa ses avances et lui signifia qu'il devait occuper son esprit avec d'autres choses, mais pas en pensant à elle. Michel n'apprécia pas la façon dont elle lui fit des reproches, et son humeur changea du tout au tout ; à partir de ce moment-là, il ne lui montra plus que du mépris et s'appliqua à lui faire tout le mal qu'il pouvait. Il écrivit une letter pleine de mensonges et de fausses affirmations contre Marie Petit au Khan de Tabriz. Celui-ci demanda à la rencontrer. Au cours de l’entrevue, il l’informa de ce que Michel avait écrit à son sujet.
50 De retour à la résidence, Marie Petit dit à Michel que la façon dont il l'avait traitée était honteuse. Indigné et furieux, il répondit qu'elle devait ramper devant lui pour implorer son pardon et qu'il avait les pouvoirs nécessaires pour la renvoyer en France. Puis, il ordonna aussitôt qu'elle reparte en France, conformément aux ordres qu'il avait précédemment reçus de M. de Ferriol. Marie Petit lui rétorqua qu'elle avait l'intention de rentrer en France, et qu'elle se conformerait toujours aux instructions du Roi de France et de l'Ambassadeur Ferriol. Toutefois, il eut été totalement injuste qu'elle parte avant d'avoir reçu toutes les sommes qui lui étaient dues, d'autant plus qu'elle disposait d'un jugement officiel à cet effet de la part du Khan d'Erevan.
51 Le lendemain, Michel était si furieux contre Marie Petit qu'il ordonna aux soldats de l'arrêter et de l’enfermer à clé dans sa chambre où souffrante, elle était alitée. Lorsque Marie Petit demanda pourquoi elle était enfermée, Michel lui répondit qu'il la renvoyait en France le lendemain matin à 9 heures. Mais le lendemain, Marie Petit n'était pas dans sa chambre. Michel y entra avec un petit nombre de personnes; il fouilla ses vêtements et ses affaires, pensant trouver quelque bien appartenant à feu monsieur Fabre, ou encore certains des cadeaux envoyés par le roi de France au roi de Perse et que Marie Petit aurait pu dissimuler. Il espérait la trouver coupable de quelque chose, mais à sa grande déception, il n’y avait rien de tel, seulement ses effets
52 personnels. En enquêtant pour savoir où elle était allée, Michel apprit qu'elle avait quitté la maison et qu’elle était partie loger ailleurs, ce qui le fâcha encore plus. Mais il n’abandonna pas. Il espérait qu'elle partirait et qu’il pourrait se débarrasser définitivement d'elle, même si cette injustice devait ternir la réputation de la France. Deux jours plus tard, il décida de se rendre dans sa nouvelle demeure accompagné d’un groupe de serviteurs, une épée à la main pour la tuer. Mais, prévenue de son funeste projet, elle avait envoyé des gardes informer le Khan de Tabriz de la situation. Celui-ci dépêcha une troupe de 200 à 300 hommes pour arrêter Michel, qui fut contraint de retourner dans sa propre résidence. Le Khan de Tabriz avait été avisé par le
53 Khan d'Erevan de fournir la protection nécessaire à Marie Petit. Michel quitta Tabriz sous prétexte qu'il devait aller rencontrer le roi de Perse. Marie Petit partit quatre jours plus tard. Après un mois de voyage, elle arriva dans la ville d'Amol, dans la région de la mer Caspienne, au nord de la Perse, où le roi de Perse lui-même campait. Suivant les instructions du Premier ministre perse, Marie Petit fut reçue par un ministre qui la mena à une tente spécialement préparée pour son séjour. Le lendemain, on lui servit un grand repas, puis le ministre l'accompagna jusqu'à la tente du Premier ministre où elle trouva le drogman du roi et de nombreux officiels de la cour de Perse. Marie Petit demanda au Premier ministre que le Roi ait l'amabilité
54 de lui accorder la permission de partir eu égard aux difficultés qu'elle avait traversées et à son voyage àAmol. Le Premier ministre lui répondit que cela lui semblait difficile. Au cours de la rencontre, Marie Petit lui avait présenté la reconnaissance de dette de 8000 livres que lui avait remise feu Fabre, ainsi que le verdict du tribunal d'Erevan. Marie Petit fut ensuite conduite dans la tente de l'épouse du Premier ministre où elle fut accueillie par son hôtesse et un groupe d'autres dames. Elle fut reçue très chaleureusement et on lui témoigna tout le respect possible. Elle y resta jusqu'à 19 heures, quand le Premier ministre revint de la cour. Il l'informa que le Roi lui avait accordé son congé et qu'elle pouvait rentrer en France en passant par la Géorgie comme elle l'avait demandé.
55 Le premier ministre lui remit également 1800 livres sur le compte du Trésor royal. Le lendemain, le drogman du roi lui apporta son congé, accompagné d'un ordre du tribunal exécutif du Khan d'Erevan pour le recouvrement de ses 8000 livres ainsi que des 4200 livres restantes. L'ordre fut remis au chef du protocole qui l'accompagna pour s'assurer de sa bonne exécution. Dans sa tente, Marie Petit reçut le ministre qui l'informa de l'arrivée de Michel dans un village non loin d'Amol. Celui-ci se rendait à la cour du roi de Perse. Lorsque le roi l’apprit, il demanda à ce que Michel soit surveillé de près afin d'éviter toute effusion de sang, d'autant plus qu’il savait ce que Michel avait tenté de faire à Marie Petit. Une force de 600 soldats fut mise à disposition pour exécuter les ordres du Roi.
56 Consciente que les Français seraient complètement anéantis s'ils devaient rencontrer la force de frappe perse, Marie Petit implora le Premier ministre de bien vouloir réduire leur effectif, tout en sachant que Michel ne manquerait pas de ternir sa réputation et de l'accuser d'être impliquée dans cette opération. Sa demande fut satisfaite et au lieu des 600 hommes devant aller à la rencontre de Michel, seuls 60 furent envoyés. Ils le stoppèrent dans le village où il se trouvait. Mais comme il n'avait aucun document officiel à présenter au Premier ministre concernant sa position, il ne fut pas autorisé à se rendre à la cour du roi de Perse, et reçut l'ordre de retourner d'où il était venu. Après sa visite à la cour de Perse, Marie Petit regagna Tabriz, quelques jours avant
57 le retour de Michel. En raison de son état de santé dégradé, elle contacta Michel et lui demanda de lui pardonner son comportement, en particulier le fait qu'elle allait partir en France conformément aux directives du Khan de Tabriz. Elle demanda également que Michel lui fournisse des gardes et lui fasse payer ses frais de voyage. Michel lui assigna deux gardes et lui envoya un peu d'argent. Il lui remit également un document signé pour les 12 200 livres qui lui étaient dues, afin qu'elle puisse encaisser la somme à Alep. En contrepartie, il récupérait les biens de feu Fabre. Le 8 juillet 1707, Marie Petit reprit le chemin de la France. Michel retourna à Erevan où le Khan exigeait des compensations pour les dommages que
58 la mission française avait causés l'année précédente. Pendant son séjour à Erevan, Michel reçut une lettre de M. de Ferriol lui ordonnant de rentrer à Constantinople. Mais il refusa d'obtempérer. Au début du mois de mars 1708, le Khan d'Erevan reçut la confirmation de la cour de Perse permettant à Michel de se rendre à Ispahan. Le Khan reçut également pour instruction de fournir à Michel des chameaux et des chevaux pour son transport et celui de sa troupe. Michel parvint à Ispahan à la mi-mai 1708, et fut reçu par le chef du protocole et le souverain d'Ispahan. Lorsqu'il rencontra enfin le roi de Perse, ce dernier lui fit part de son intention d'envoyer une mission diplomatique en
59 France. Au cours de sa rencontre avec le Premier ministre, Michel discuta de toutes les questions d'intérêt mutuel entre la France et la Perse. Il quitta Ispahan en octobre 1708 pour retourner à Constantinople.
61 5 Marie Petit poursuit toujours le recouvrement de sa dette À Constantinople, Michel commençait à rassembler des informations sur la date d'arrivée de Marie Petit en France, inquiet de ce qu'elle pourrait raconter sur lui aux autorités françaises. Le 9 février 1709, Marie Petit débarqua à Marseille. Epuisée et en mauvaise santé, elle dut être admise à l'hôpital de la ville pour y être soignée et récupérer.
62 Alors qu'elle était à l'hôpital, elle contacta les marchands d'Alep à Marseille et leur présenta le document que Michel lui avait remis en lieu et place de sa dette envers feu monsieur Fabre. À sa grande déception, toutes les réponses qui revenaient disaient la même chose : "le document n'a aucune valeur, d'autant plus que l'entité censée l'encaisser à Alep est inexistante". Ayant perdu à la fois sa santé et sa fortune, Marie Petit décida de poursuivre le recouvrement de son argent par l'intermédiaire du ministère des affaires étrangères à Paris ; toutefois, le ministère avait reçu des rapports critiques de Ferriol et Michel, portant à son encontre de fausses accusations qui eurent un effet négatif sur le nom de la nation française. Les choses se dégradèrent encore pour
63 Marie Petit lorsqu'un groupe d'hommes prétendant appartenir aux autorités et agissant sur instruction du roi Louis XIV, débarqua à l'hôpital pour l'emmener dans un lieu tenu secret. Lorsque l'administration de l'hôpital s’interposa et réclama une vérification, les hommes présentèrent un mandat d'arrêt royal daté du 21 mars 1709 adressé au commissaire du roi, M. de Montmort, selon lequel Marie Petit devait être appréhendée et conduite dans un couvent… Elle fut cependant emmenée à la Maison du Refuge à Marseille, une prison pour les femmes pauvres et les prostituées repenties. Marie Petit se résigna à son triste sort, et il ne lui restait qu'un seul espoir : écrire au roi de France. Ainsi, le 1er avril 1709, elle envoya une lettre au roi en s'excusant
64 de devoir lui écrire pour lui faire part de sa situation. Dans sa lettre au roi qu'elle avait adressée au commissaire du roi, M. de Montmort, elle déclarait qu'elle était innocente, et que son emprisonnement était dû à un mandat d'arrêt signé par le chancelier Pontchartain. Elle demandait que le roi entende son histoire et ses requêtes et que, si elle était reconnue coupable, elle ne demanderait pas la clémence ou un traitement charitable, mais bien d'être punie. Au début du mois de septembre 1709, Michel arriva à Toulon par bateau. De là, il se dirigea vers Marseille d’où il était originaire. Il reçut des nouvelles surprenantes qui l'obligèrent à partir pour Paris ; il apprit que Marie Petit avait adressé un rapport contre lui au ministère français
65 des affaires étrangères, affirmant qu'il l'avait trompée en lui donnant un document frauduleux sans valeur qui lui avait coûté la perte de tout son argent. Un procès fut alors intenté contre Marie Petit devant le tribunal de la marine à Marseille, ce qui l’amena à chercher un avocat qui accepterait de prendre en charge son dossier. Elle fut à nouveau surprise en apprenant que Michel avait contacté des officiers du Parlement afin d'émettre un ordre de saisie de ses effets personnels se trouvant dans ses bagages encore scellés. En conséquence, elle eut à subir les pires conditions de vie résultant d'actes de brutalité, de privation extrême et de cruauté. Abusant de ses pouvoirs et détournant les ordres du roi, Michel empêcha également Marie Petit de faire appel à un avocat ou
66 à un procureur général pour établir ses droits et exposer ses arguments, ce qui la rendit incapable de se défendre contre son accusateur. Finalement, des juges furent désignés par les aurorités pour la défendre. Le premier jour de l'audience, les parties au procès étaient présentes. Marie Petit prit les choses en main et ne laissa pas l'avocat commis d'office parler à sa place. Elle plaida sa cause, exposa ses revendications et exigea que la dette de 12 200 livres que lui devait Fabre lui soit remboursée. Elle affirma que Michel lui avait donné un reçu en échange des effets personnels de Fabre qui étaient alors en sa possession. Les autorités françaises étaient censées lui verser les sommes dues, mais Michel avait révoqué le reçu.
67 Lorsque le juge du tribunal demanda à Michel pourquoi il avait révoqué le reçu qu'il avait signé, il répondit, avant que son avocat n’intervienne, que "c'était une signature de courtoisie dans des circonstances impérieuses". Marie Petit était sous le choc. Elle était fatiguée et pleurait constamment. Ses conditions de vie au Refuge étaient terribles. Des échanges d'arguments eurent lieu au cours de plusieurs audiences. Cependant, Marie Petit continuait à se faire accuser par Michel, sans que son avocat ne s'y oppose ou ne présente de contre-arguments. Il restait assis, écoutant passivement, comme on pouvait s'y attendre de la part d'un agent nommé par les Autorités.
68 Les accusations de Michel contre Marie Petit étaient nombreuses. Il disait: - Fabre la considérait et la traitait de prostituée; - Elle se prostituait avec toutes les personnes ayant autorité dans le pays, où elle était protégée pour des raisons de débauche plutôt que pour autre chose; - Il était improbable que la prostituée de nuit [de Fabre] lui ait prêté de l'argent alors que Fabre avait trois frères vivant à Marseille qui auraient pu lui prêter des sommes encore plus importantes; - "Elle n'était pas simplement en visite à Moulins, mais en réalité elle suivait Fabre depuis Paris et ne le laissait pas tranquille jusqu'à ce qu'elle décide
69 de s'en débarrasser", et il l’accusait ouvertement de l'avoir assassiné ; - Michel parla de l'incident du panier de fruits avec Justiniani le valet, et de ce qu'il considérait être la vérité sur le sauvetage du père jésuite de Mosnier. Il disait que Marie Petit était dangereuse quand elle perdait son sang-froid, qu'elle ne respectait personne et qu'elle avait l'impudence de porter les armes contre quiconque s'opposait à elle ; - Il qualifia également de mensonges les affirmations de Marie Petit. Il dit : "Les Perses sont sans coeur". Ainsi, même avec sa revendication de mourir aux côtés du père de Mosnier, il était absurde de penser que le Khan révoquerait la sentence de mort pour cette raison. Mais quoi qu'il en soit, c'était une preuve du
70 genre de pouvoir dont elle jouissait dans ce pays, et qu'il était nécessaire de la renvoyer en France. - Après que certains faits eurent été présentés par l'avocat de Marie Petit, Michel répondit que "ces faits ajoutent à sa condamnation car ils montrent clairement qu'elle a mené avec le Khan d'Erevan le même genre de vie qu'elle a mené avec Fabre." - Marie Petit affirmait que les documents qu'elle présentait étaient authentiques et reconnus comme tels par les témoins. Mais Michel rejeta cette affirmation et souligna qu'ils étaient falsifiés en tout ou en partie, et surtout qu'ils n'étaient pas datés et ne pouvaient pas être des originaux. Il déclara qu'ils étaient aussi faux que la personne qui les avait écrits.
71 - Selon Michel, Marie Petit se serait rebellée contre les intérêts de la France, et sa rébellion aurait causé de terribles troubles en Perse, affirmant également qu'elle avait toujours été une ennemie de la France - Il dit l'avoir empêchée de se rendre à la cour de Perse après qu'elle eut déclaré qu'elle deviendrait musulmane et pendrait tous les missionnaires chrétiens de Perse, et qu'elle révèlerait les moyens utilisés par les missionnaires pour baptiser les enfants perses en secret. Il la qualifia également de déshonneur pour ses propres parents. - L'avocat de Michel déclara : "elle prétend que les 8200 livres correspondent à la somme que Fabre lui a empruntée, alors qu'en fait cette somme provient de sa prostitution
72 dans plusieurs pays, ce qui est une activité illégale. Cela la rend moralement inapte selon de nombreuses lois.” Pendant le procès, alors que Marie Petit était à la Maison du Refuge, Anne Cataro, la veuve de Fabre, envoya une lettre datée du 28 mars 1711, au ministère, se plaignant de la mauvaise conduite de l'ambassadeur Ferriol et de Michel. Elle déclara également "qu'en tant que veuve qui a énormément bénéficié de la succession de mon défunt mari, je ne peux pas être la seule héritière de ses biens." Finalement, Marie Petit fut libérée en 1713, mais son affaire était loin d'être terminée. Le 28 mars 1714, le chancelier Pontchartain écrivit à monsieur Arnoul, intendant à Marseille, pour lui signaler que l'affaire de Marie Petit avait été
73 jugée, mais que sa conclusion était encore incertaine. Il précisa: “J’ai encore à vous parler de la demoiselle Petit, il est inutile que vous me répliquiez que parce que vous avez jugé son affaire, vous n’en pourriez plus prendre connaissance. Il est question de la terminer définitivement et sans appel; elle se réduit pour cet effet à demander d’être payée des 8000 livres seulement de préférence sur les effets de la succession de Mr Fabre“ Marie Petit chercha à obtenir le remboursement de sa dette pendant onze ans, sans succès.
75 References 1. Lettres conservées aux Archives nationales de France et aux Archives des Affaires étrangères. 1.1 : Archives nationales de France (voir également h t t p s : / / www. s i v. a r c h i v e s - n a t i o n a l e s . culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/ consultation/ir/pdfUD.action?irId=FRAN_ IR_003977&udId=d_9 • AE/B/I/384 Folio 363 (14 pp.) • AE/B/I/384 Folio 370 (4 pp.) • AE/B/I/384 Folio 372 (3 pp.) • AE/B/I/384 Folio 402 (2 pp.) • AE/B/I/384 Folio 409 (10 pp.) • AE/B/I/384 Folio 414 (2 pp.)
76 • AE/B/I/384 Folio 416 (3 pp.) • AE/B/I/384 Folio 418 (3 pp.) • AE/B/I/384 Folio 420 (7 pp.) • AE/B/I/384 Folio 426 (3 pp.) • AE/B/I/385 Folio 7-8 (8 pp.) • AE/B/I/385 Folio 39 (14 pp.) 1.2 : Archives du Ministère des Affaires étrangères (La Courneuve). 1.2.1 : Correspondance politique CP, Perse, Volume 2 (nouvelle cote 101CP/2 - microfilm P3397). • AE CP Perse 2, Fol. 22-23v. • AE CP Perse 2, Fol. 139v-140v. • AE CP Perse 2, Fol. 51. • AE CP Perse 2, Fol. 52. • AE CP Perse 2, Fol. 53-55r. • AE CP Perse 2, Fol. 56-58r. • AE CP Perse 2, Fol. 59. • AE CP Perse 2, Fol. 60-61r.
77 • AE CP Perse 2, Fol. 79-80v. • AE CP Perse 2, Fol. 84-86r. • AE CP Perse 2, Fol. 92. • AE CP Perse 2, Fol. 93-94r. • AE CP Perse 2, Fol.95. • AE CP Perse 2, Fol. 96-97v. • AE CP Perse 2, Fol. 100-101r. • AE CP Perse 2, Fol. 108-111v. • AE CP Perse 2, Fol. 120-123r. • AE CP Perse 2, Fol. 124-125r. • AE CP Perse 2, Fol. 155v-156r. • AE CP Perse 2, Fol. 167. • AE CP Perse 2, Fol. 169-171r. • AE CP Perse 2, Fol. 173-174r. • AE CP Perse 2, Fol. 177. • AE CP Perse 2, Fol. 184. • AE CP Perse 2, Fol. 191-192v. • AE CP Perse 2, Fol. 193-194r. • AE CP Perse 2, Fol. 204-205r.
78 • AE CP Perse 2, Fol. 206-207r. • AE CP Perse 2, Fol. 208. • AE CP Perse 2, Fol. 301-307r. 1.2.2 : Correspondance politique CP, Perse, Volume 3 (101CP/3 - microfilm P3398). • AE CP Perse 3, Fol. 109. • AE CP Perse 3, Fol. 444-445r. • AE CP Perse 3, Fol. 31-34r. • AE CP Perse 3, Fol. 241v-246r. • AE CP Perse 3, Fol. 263v-266v. • AE CP Perse 3, Fol. 50v-52v. 2. Mémoire du Sieur Michel ([manuscrit] Bibliothèque nationale de France, BNF Français 7200). 3. Mémoire pour servir d’instruction au procès de Michel contre Marie Petit ( [imprimé] AE, Correspondance politique, Perse, 2, Fol. 277 to Fol. 294. 4. [Eydoux, avocat]Mémoire pour servir d’instruction au procès de demoiselle Marie Petit querellée en prétenduë vie licentieuse… contre … Pierre Victor Michel…, [Paris?], De l’Imprimerie de la veuve d’Henry Brebion, 1710 [imprimé], AE, Correspondance politique, Perse, 2, Fol 255 to Fol. 276.
79 (également à la Fisher Rare Book library, Toronto, cote Rare Book D-10 07485, catalogue key 216775). 5. Addition au Mémoire instructif du Sieur Pierre Victor Michel… à Marie Petit [imprimé]. AE, Correspondance politique, Perse, 2, Fol. 241 to Fol. 254. (également au Département des Manuscrits, Erudits et Bibliophiles, Clairambault 993, division P.623). 6. Réponse de Demoiselle Marie Petit contre l’Addition au Mémoire instructif du Sieur Victor Michel [imprimé] AE, Correspondance politique, Perse, 2, Fol. 235 to Fol. 240. 7. Henriette Dussourd - La Brelandière. Une aventurière d’origine moulinoise, Moulins, Les imprimeries réunies, 1966. 8. R. de Maulde la Clavière - Les 1001 nuits d’une Ambassadrice de Louis XIV, Paris, Hachette, 3e édition. 9. Notice rédigée par Audiffret sur la vie et les ouvrages de Le Sage, Paris, 1825, pages 77-89. 10. Yvonne Grés - La belle Brelandière, Scemi, 1973.
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